L'art floral japonais se présente au pratiquant qui débute comme une méthode de construction permettant de marier harmonieusement des fleurs, des branchages et des feuilles. Son attention est alors absorbée par la mise en oeuvre de certaines techniques. Celles-ci maîtrisées, l'Ikebana peut devenir pour lui une activité créatrice dans laquelle le calcul se met au service d'une sensibilité et d'une inspiration. La démarche technique est à la fois intégrée et dépassée dans une recherche prenant en considération non seulement des mesures, des masses et des couleurs, mais l'individualité de chaque élément végétal pour lui donner sa place dans un ensemble ayant sa beauté propre.
Cette dimension artistique n'est pourtant pas la dernière. L'Ikebana vise plus loin que l'art conçu comme activité décorative. Il veut conduire à une certaine harmonie intérieure et c'est ainsi que tous les maîtres de cette discipline l'ont compris, depuis les premiers moines bouddhistes qui l'ont inventé jusqu'aux maîtres des écoles modernes. La sagesse avec laquelle il a partie liée depuis des siècles est celle du Zen. Celui-ci, comme le shinto japonais, vise à faire prendre conscience de notre insertion dans une grande Nature qui nous porte et nous dépasse.
L'univers, tous les êtres dans l'univers et nous-mêmes, partageons une communauté d'existence, plongeons nos racines dans le même terreau, nous abreuvons aux mêmes sources. Nous participons tous au même être, aux mêmes énergies, et seul un individualisme effréné nous a fait perdre de vue l'existence de cette participation et de cette unité.
Le Zen ne cherche pas à nous faire réfléchir sur cet enracinement, mais à nous le faire expérimenter en nous-mêmes et à nous faire atteindre une certaine harmonie et sérénité intérieure. Pour cela il fait appel à des méthodes de méditation et à des disciplines artistiques, décoratives ou martiales, qui présentent beaucoup d'analogies entre elles. C'est ainsi que les styles de base de l'art floral sont, comme les katas des arts martiaux, des moules dans lesquels l'artiste peut se couler et se déposséder des tendances de son ego. En même temps que certains réflexes se créent, le moi s'efface, autorisant la manifestation d'une réalité plus profonde, d'une énergie originelle.
Au Japon, durant des siècles, le Zen a été au coeur de toutes ces démarches, et le maître de tir à l'arc comme le maître de calligraphie, de cérémonie du thé ou d'Ikebana était celui qui, dans sa discipline propre, et grâce à elle, avait pu réaliser son harmonisation personnelle avec l'univers et tous les êtres. Ainsi l'Ikebana est une plante qui a fleuri dans la terre d'une sagesse et constitue encore une voie vers celle-ci : "la voie des fleurs", dit joliment Madame Herrigel.
Dans les pages d'un recueil de trente méditations florales, nous avons essayé d'en retrouver les chemins, un peu oubliés aujourd'hui, et de vous livrer quelques réflexions pouvant inspirer vos bouquets et vos vies.