L'ikebana est une tradition d'art floral qui remonte à plus de treize siècles. Le Japon a reçu l'art floral de la Chine au début du VIIème siècle. La dynastie Tang rayonnait alors sur tout le monde oriental et les ambassadeurs japonais ramenèrent avec le bouddhisme la coutume des offrandes florales - kuge - aux autels bouddhiques et aux stupa.
Un no m émerge ici : celui de l'ambassadeur Ono no Imoko, qui devint le prêtre Senmu et fut le premier au Japon à codifier l'art floral en préférant à l'exubérance confucéenne, la sobriété bouddhiste et la rigueur classique du principe trinitaire que l'on retrouve encore aujourd'hui dans beaucoup de bouquets japonais. Il précisa en effet que les offrandes de fleurs au Bouddha doivent comporter trois fleurs : une haute et deux plus basses. Nous avons là l'origine du premier bouquet vertical, nommé tatebana, qui donna plus tard le rikka et le shôka. Toutefois Senmu disposait aussi les fleurs d'une autre manière : en les amoncelant dans un plat ou un panier. Ce deuxième arrangement constitua le prototype de ce qui deviendra le moribana.
Ike-no-bô (littéralement : la hutte près de l'étang) était la petite maison où Senmu se retirait pour exercer son ministère bouddhique et répandre la compréhension des fleurs. Ses descendants poursuivirent son oeuvre et créèrent l'école qui porte ce nom.
Dès le XIIème siècle, les rites bouddhiques commencèrent à se célébrer aussi dans les demeures privées ; les bouquets migrèrent des temples vers les maisons et s'étendirent des cérémonies aux fêtes. La codification se poursuivit et s'élabora. Le plus ancien texte à cet égard - le Sendenshô - rassembla des règles d'origines multiples, que l'école Ikenobô recueillit. Il prévoyait cinquante-trois arrangements pour toutes les circonstances de la vie (mariage, majorité d'un garçon, départ d'un guerrier...).
D'autres manuels proposaient des règles : le Mon'ami Densho qui explique comment disposer bouquets et objets dans l'alcôve du tokonoma ou autour, le Senno Kuden, premier manuel de paysages donnant à vrai dire toutes les variantes possibles d'un unique paysage : celui du légendaire mont Meru dont parlent les textes bouddhiques et qui symbolise l'univers entier.
A travers les techniques, un esprit s'exprima. Il pouvait être shin : strict, imposant, traditionnel, symétrique, so : léger, spontané, asymétrique, imprévu, ou gyô : entre shin et so. L'histoire de l'ikebana est marquée par une oscillation permanente entre ces deux pôles : classicisme formel (shin) et liberté (so). Le bouquet procède d'un état d'âme et veut le susciter chez ses contemplateurs. Une notion importante apparaît ici : celle de fûryû qui implique simplicité, discrétion et l'amour d'une beauté naturelle, sans ostentation. Le fûryû se détourne de l'exhibition et manifeste une sérénité. Le zen tient une place importante dans le développement de cet esprit.
Mais cette puissance discrète de suggestion, cherchée dès l'origine dans le bouquet japonais, est difficile à atteindre et à conserver. A la fin du XVIème siècle, Hideyoshi, seigneur et mécène, paranoïaque et artiste, donna aux maîtres floraux à son service des moyens grandioses et grandiloquents de s'exprimer. C'est ainsi qu'à l'occasion d'une cérémonie en l'honneur du grand Bouddha de Nara, les compositions atteignirent jusqu'à treize mètres de hauteur. Le maître Sen no Rikyû, intime d'Hideyoshi, se prêtait à cette mégalomanie en confectionnant des rikkas monumentaux pour orner ses palais. Toutefois ce maître réagit en créant le chabana (littéralement "fleurs du thé"), arrangement simple, animé d'un esprit pour lequel les Japonais emploient un nom très particulier : le wabi. Le wabi c'est le raffinement dans la simplicité, l'élégance rustique, la noblesse sans sophistication, la beauté réduite ou plutôt ramenée à sa simplicité essentielle. Une simple fleur parfaitement disposée dans un vase discret peut l'exprimer.
A Sen no Rikyû l'on attribue aussi l'origine du nageire. Un jour où lui et Hideyoshi reposaient au jardin, ce dernier lui demanda de composer un bouquet. Sen no Rikyû coupa alors quelques iris avec son poignard, attacha les fleurs à l'arme et envoya le tout dans un seau. Les assistants, nous dit l'anecdote, s'extasièrent devant le chef-d'oeuvre. Le nageire (littéralement jeté ou lancé) était né.
Au XVIIème siècle, une mutation politique retentit sur l'évolution de l'ikebana. Celui-ci, comme tous les arts japonais, avait subi jusqu'alors l'influence du bouddhisme zen qui s'était développé en force depuis son introduction au XIIème siècle. Avec le shôgunat des Tokugawa et sous son impulsion le confucianisme supplanta le zen. Les Tokugawa l'encouragèrent comme fondement philosophique de leur pouvoir, en même temps qu'ils reléguèrent la noblesse à Kyôto et l'occupèrent à des activités culturelles qui ne leur faisaient pas d'ombre.
L'art floral entra dans le jeu des rivalités et des intrigues de cour et reçut alors le nom officiel d'ikebana. Il fut confié d'abord par le shôgunat à une seule famille, Ikenobô, mais bientôt des concurrents surgirent et d'autres écoles virent le jour. Le shôgunat les canalisa en instituant la transmission héréditaire des iemotos, encore en vigueur de nos jours.
Cette époque fut marquée par un recul des valeurs d'intuition et de spontanéité qui caractérisaient le nageire, au profit d'une codification de plus en plus complexe du rikka . En 1673 furent publiés les Arrangements Rikka de l'Ecole Ikenobô de Rokkaku-dô et de ses Elèves, en 1683 parut l'Encyclopédie du Rikka, et en 1688 les Styles admis du Rikka. Vinrent enfin les Images de Cent Arrangements dans des vases, pour les Quatre Saisons, qui dit que "sans l'observation des règles, les fleurs ne peuvent être considérées comme un décor valable pour le tokonoma ".
Pas de grands maîtres, beaucoup de règles, et le snobisme d'une classe d'aristocrates oisifs cherchant à se valoriser dans des exhibitions stériles, voilà le jugement sévère que l'on pourrait porter sur l'ikebana du XVIIème siècle. Toutefois une nouvelle classe marchande était en train de naître ; elle commença à s'intéresser à l'art floral, et avec elle s'amorça une démocratisation de sa pratique.
Cette démocratisation eut lieu au XVIIIème siècle. Elle concerna les classes sociales mais aussi les sexes. L'art floral, réservé jusque là aux hommes, fut appris par les femmes avec la musique et le cérémonial du thé. Ceci entraîna un assouplissement des règles du rikka, un regain du nageire et la naissance d'un nouveau style plus populaire, mixant les caractéristiques des deux premiers : le shôka. Ce style simple, à trois branches asymétriques, s'organisa suivant un schéma trinitaire.
Au XVIIIème siècle le nombre des élèves pratiquant l'ikebana augmenta considérablement, les écoles se multiplièrent, les fleurs entrèrent dans les maisons et couvrirent les kimonos et les paravents comme jamais elles ne l'avaient fait.
Contre le snobisme des aristocrates et la facilité sans rigueur des nouvelles classes aisées, une réaction se manifesta. Un groupe de créateurs qui cherchaient dans l'ikebana autre chose qu'une futile activité décorative amena un nouveau souffle. Ceux-ci étaient des lettrés - bunjin - très sensibles aux modèles que le Japon avait hérités de la Chine et désirant renouer en matière d'art (poésie, peinture, art floral...) avec l'esthétique chinoise. Ils lancèrent un style s'en inspirant : le bunjin ike qui rompit avec les codifications excessives, cherchant à retrouver la spontanéité, le naturel, mais aussi le raffinement de l'art chinois.
En 1854, le commandant américain Perry fit sauter le verrou isolationniste qui tenait le Japon enfermé sur ses îles et l'ouvrit au commerce et à la culture occidentale. Les incidences politiques et artistiques de cet événement furent innombrables. En ce qui concerne l'ikebana, l'apport de nouvelles fleurs inspira un maître nommé Unshin Ohara qui, par ailleurs, entendait restaurer d'anciens modèles traditionnels dont le moribana et le paysage. Unshin Ohara fonda sa propre école. D'autres créateurs comme Nishikawa essayèrent, eux, d'enraciner plus profondément la nouvelle liberté et de renouer avec l'esprit du wabi.
1920, un nouveau courant apparut et un nouveau style d'arrangement floral de forme libre : le jiyubana. Refusant la référence originelle bouddhique et les codifications traditionnelles, les jeunes révolutionnaires que furent Nakayama, Okubô, Shigemori . . . firent paraître en 1930, un manifeste intitulé Proclamation du Nouveau Style d'Arrangement des fleurs dans lequel ils entendaient prendre leurs distances à l'égard des artistes floraux du passé. Leur cri de guerre était alors : "Sortez l'ikebana du tokonoma !" De ces tendances naquit l'école Sôgetsu fondée par Sofû Teshigahara. Puis d'autres écoles apparurent, si bien qu'en 1966 l'Association japonaise d'ikebana en regroupait plus de cent trente. Mais dès 1930, les trois grandes écoles qui dominent aujourd'hui le paysage japonais et mondial de l'ikebana - Ikenobô, Ohara et Sôgetsu - étaient en place.