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chez Alain Delaye

A L’ÉCOUTE DES SAGES

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MAURICE BELLET

La divine douceur est paix, profonde paix, paix miséricordieuse, apaisement.


C'est une main douce et maternelle, qui sait, qui conforte, qui répare sans heurt, qui remet dans la juste place.


C'est un regard comme celui de la mère sur l'enfant naissant. C'est une oreille attentive et discrète, que rien n'effraie, qui ne juge pas, qui prend toujours le parti du bond chemin d'homme, où l'on pourra vivre même l'invivable.


Elle est ferme comme la bonne terre sur qui tout repose. On peut s'appuyer sur elle, peser sans crainte. elle est assez solide pour supporter la détresse, l'angoisse, l'agression, pour tout supporter sans faiblir ni dévier. Elle est constante comme la parole du père qui ne plie pas. Ainsi est-elle le lieu sûr où je cesse d'être à moi-même frayeur.


C'est pourquoi c'est sottise de la croire faiblesse. Elle est la force même, la vraie, celle qui fait venir au monde et fait croître. L'autre, celle qui détruit et tue, n'est que l'orgie de la faiblesse.


Mais la divine douceur sauve tout, elle veut tout sauver. Elle ne désespère jamais de personne. Elle croit qu'il y a toujours un chemin. Elle est inlassablement inlassable à enfanter, soigner, nourrir, réjouir et conforter.


La divine douceur est charnelle, elle est du corps. Elle ne se passe pas en idées et discours, en décisions, en états d'âme. Elle ne se soucie pas d'exhorter ou d'expliquer.


Elle est dans les mains, le regard, les lèvres, l'oreille attentive, le visage, le corps entier. Elle est dans les gestes du corps. Elle est l'âme aimante du corps agissant. Elle est la beauté aimante du corps humain.


La divine douceur est sans preuve. Elle ne se donne pas par des arguments, des explications, des justifications. Elle paraît naïve et désarmée devant le soupçon ; en fait, elle y est indifférente.


Car elle se goûte.


Pourquoi divine ? parce qu'elle ne serait pas humaine ? C'est tout l'inverse : elle est divine d'être humaine, entièrement humaine en vérité.


Elle est l'amour d'amitié. Elle est l'amour par-delà l'amour, parce qu'elle ne cherche ni preuve, ni satisfaction, ni possession, ni rien de semblable. Elle ne se donne pas par devoir, mais par goût. Elle ne sait même pas qu'elle se donne. Elle est d'un naturel exquis.


Elle peut se faire service, et de mille façons. Mais elle est d'abord elle-même, ô douceur divine, et ce don-là précède tous les autres.


Elle est présence, elle est hospitalité, elle est parole échangée. Elle est compassion. Elle est la discrétion même. Oh, qu'elle est désirable ! Elle est le sel de la vie.


Mais le moment où on le sait est celui de la douleur.


L'épreuve, ou le tout petit livre de la divine douceur (DDB - 1988)

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Maurice Bellet était un écrivain contemporain, auteur de différents livres allant du roman jusqu'à la thèse. Il a fréquenté la philosophie, la théologie, l'économie, la psychanalyse, et poursuit sa recherche d'un chemin hors des menaces de destruction où nous sommes.

Il est décédé en avril 2018.


L'OEUVRE


Elle est abondante. Citons parmi ses productions : 

- L'Amour déchiré (DDB - 2000)

- Un trajet vers l'essentiel (Seuil - 2003).

- Le Paradoxe infini (DDB - 2003).

- Passer par le feu (Bayard - 2003).

PIERRE BERTRAND

Nous négligeons la vie parce que nous n'attendons pas de gratifications ou de reconnaissances officielles de ce côté. La vie est la grande négligée parce qu'elle passe le plus souvent inaperçue. Et pourtant, c'est toujours en elle que nous nous trouvons, inconnus aux autres et en grande partie à nous-mêmes, c'est en elle que nous sommes joyeux ou tristes. Certes, notre vie dans sa quotidienneté, dans ses sensations, dans ses rencontres, ne fait pas l'objet d'une évaluation sociale ou collective, ne mérite pas un salaire, mais c'est justement sur ce plan que s'exerce l'art le plus subtil et le plus difficile, que les plus grands artistes se trouvent. Ils sont grands, entre autres, de par leur pouvoir de couper avec la logique de la reconnaissance, d'investir la vie là où elle se trouve dans l'ombre, d'accorder la plus grande importance à ce qui, bien qu'essentiel, est le plus négligé : le noyau même de notre être.


En même temps, cet art est le plus simple, car il n'exige pas une compétence particulière pour s'exercer, tout vivant y est apte d'emblée, toutes les facettes de la vie quotidienne font l'affaire et font partie du matériau concourant à l'oeuvre d'une vie. On pourrait ajouter également que c'est l'art le plus gratifiant, bien qu'il ne faille pas s'attendre là à une quelconque reconnaissance sociale ou officielle. Cet art est gratifiant, car c'est tout de suite qu'on en ressent les effets, c'est immédiatement que nos relations aux autres et à nous-mêmes sont transformées. Ces effets ne se situent pas dans une autre dimension, celle d'une quelconque récompense, d'une oeuvre particulière, d'un salaire, voire d'une autre vie, mais se font sentir tout de suite. Puisque c'est dans le matériau de la vie que nous oeuvrons, c'est d'emblée en elle que les résultats de l'observation et de l'attention se font sentir. Il s'agit là d'un travail de délicatesse et de tendresse. Un tel art de vivre ne peut s'exercer sans amour et sans compassion. C'est la qualité de notre rapport aux autres qui est déterminante. Ce rapport se fait dans la rigueur. Il n'exclut lut pas la lutte, la contestation, la résistance. Mais ce qui prédomine en lui, c'est une espèce de tendresse et de compassion. Cette tendresse et cette compassion sont joyeuses. Joie, tendresse et compassion sont inséparables.


La lutte aussi est nécessaire. Cependant, la lutte elle-même ne sera entreprise que du point de vue de l'amour. Celui-ci est prédominant. Dans l'art de vivre, les affects positifs ou affirmatifs prédominent. C'est d'ailleurs pour les créer, pour les fortifier, pour les enraciner que l'art de vivre est pratiqué. Cet art n'a pas à attendre pour s'exercer. Il est toujours temps de s'y consacrer. Personne n'est trop jeune ou trop vieux pour un tel art. l'oeuvre et vivante, toujours en cours, toujours inachevée. Nous habitons l'oeuvre, elle nous habite. Nous sommes l'oeuvre.


Tant que la vie dure, l'art de vivre doit s'apprendre encore de nouveau, en fonction des nouveaux défis qui se posent, des nouveaux événements qui surviennent. Sans cesse nous apprenons à l'école de la vie. Apprendre est joyeux. Relever les défis présentés par la vie est excitant. Comment allons-nous nous y prendre ? De quoi sommes-nous capables ? Que pouvons-nous faire.. L'horizon est ouvert.


Pierre Bertrand, Connaissance de soi et vie quotidienne (Liber - 2003).

Pierre Bertrand est un auteur québécois, professeur de philosophie.


Il a publié :


- Méditations I. Penser et créer (Montréal - Humanitas - 1995).

- Méditations II. Voyager et combattre (Montréal Humanitas - 1996).

- La vie au plus près (Montréal - Liber - 1997).

- Le coeur silencieux des choses (Montréal - Liber - 1999)

- Éloge de la fragilité (Montréal - Liber - 2000).

- L'art et la vie (Montréal - Liber - 2001).

- Pour l'amour du monde (Montréal - Liber - 2002).

Bibliographie complète

BERNARD BESRET

J'aimerais méditer avec vous le rapport qu'il y a dans nos vies entre l'intensité, la plénitude de l'instant présent et le fait que nous sommes insérés dans le temps, dans l'espace, dans l'histoire. Au fond, un des défis de nos vies est d'apprendre à vivre l'instant présent dans la plénitude sans s'évader du temps qui passe, de l'histoire dans laquelle nous sommes et des relations dans lesquelles nous enrichissons notre vie personnelle. On ne peut pas faire une scission dans nos têtes entre l'essentiel et les événements actuels.


Pour prendre un exemple parlant, lors de la fécondation, la cellule est prise d'une frénésie de multiplication. Il y a à l'oeuvre une force de division. Si la vie n'était que le fruit de cette division, on aurait des milliards de cellules semblables, indistinctes, et non un être humain. Or cette force de scission s'allie à une force de rassemblement, de fusion, d'unité pour donner naissance à un autre humain, fruit de l'interaction intime d'une force de scission (très masculine) au sein d'une force d'unité (symboliquement féminine). Il faut la conjonction de ces deux forces qui donnent la diversité des êtres. L'une ne doit pas dominer l'autre car cela introduirait la mort soit par éclatement soit par étouffement. La vraie vie établit comme une respiration douce du multiple dans l'un.


La vie spirituelle est du même ordre. Elle exige la capacité de s'ouvrir aux autres, à tout ce qui se passe autour de nous et, en même temps, elle a besoin de se recentrer sur la perception de l'être, de l'essentiel. Se couper de la réalité ne permet pas de rencontrer la vie, et s'engager dans la vie au point de ne plus prendre le temps du recentrement et de la perception de l'instant présent met en danger notre unité d'être. Cela veut dire que, dans nos vies, il faudrait instaurer cette respiration : s'ouvrir aux autres et se recentrer sur l'essentiel. Plus on se recentre sur la perception du vertical, plus on se donne une capacité d'ouverture sans mettre en danger son unité d'être, sans risquer de s'éparpiller.


Cette respiration me semble absolument essentielle car il ne faut absolutiser ni le temps du ressourcement ni l'ouverture aux autres. Celui qui vit seulement dans son intériorité au prix de la coupure de la relation, s'asphyxie ; celui qui est toujours sur la brèche ne peut plus donner véritablement et risque une forme de mort par dispersion. Il faut mettre en oeuvre cette respiration douce, marier ouverture et recentrement, action et contemplation. Nous ne sommes des êtres réellement vivants que si nous avons la capacité à la fois de nous recentrer et d'être présent à tout ce qui se passe. 


Extrait d'une conférence donnée à Annecy en 1995

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Né en 1935 et devenu moine cistercien à l'âge de dix-huit ans, Bernard Besret a été en France l'un des leaders de l'Église pré et post-concilaire. Conseiller théologique à Vatican II, il a lancé à Boquen en Bretagne un mouvement qui a touché des foules de chrétiens en quête de renouveau. Jusqu'au jour ou destitué de toute fonction ecclésiale et menacé de mort par des mouvements intégristes, il a dû se retirer dans l'ombre et le silence.

Chargé ensuite de mission auprès du président de la Cité des Sciences de la Villette, il n'en a pas moins continué sa réflexion humaniste et religieuse dans un contexte libre de toute contrainte institutionnelle : "hors les murs" dit-il.


OUVRAGES


Bernard Besret a publié en 1982 Le Tourment de Dieu (Bruxelles CEFA - 1982) et en 1991 un ouvrage biographique qui a fait date : Confiteor. Avant cela, il est l'auteur d'une série d'ouvrages théologiques et spirituels qui correspondent à sa période monastique.

- Confiteor (Albin Michel - 2000), réédition.

- Du bon usage de la vie (Albin Michel - 2000)

- Manifeste pour une Renaissance (Albin Michel - 2000).

- Esquisse d’un évangile éternel (Seuil, 2003)

- A hauteur des nuages : chroniques de ma montagne taoïste (Albin Michel, 2011)

CHRISTIAN BOBIN

Il y a beaucoup moins d'événements dans une vie qu'on ne le dit. Ce qui arrive porte toujours le même nom. Je simplifie : ce qui arrive est un amour. Une naissance, une mort, un printemps, une blessure, une parole vraie, c'est un amour. L'amour est le seul événement digne de ce nom.


Le mot "amour" est comme le mot "Dieu" : ce n'est pas pour nommer quelque chose que je les utilise. C'est pour protéger ce que je ne sais pas nommer, pour l'envelopper d'un silence, afin que ce qui vient sous ces noms-là continue à venir, à prendre force et plénitude.


L'amour n'est pas un sentiment. Tous nos sentiments sont imaginaires et, si profonds soient-ils, nous n'y rencontrons que nous-mêmes c'est-à-dire personne. L'amour n'est rien de sentimental. L'amour est la substance épurée du réel, son atome le plus dur. L'amour est le réel désencombré de nos amours imaginaires.


Ceux que j'aime, je ne leur demande rien. Ceux que j'aime, je ne leur demande que d'être libres de moi et ne jamais me rendre compte de ce qu'ils font ou de ce qu'ils ne font pas, et, bien sûr, de ne jamais exiger une telle chose de moi. L'amour ne va qu'avec la liberté. La liberté ne va qu'avec l'amour.


J'aime ce mot de Catherine de Sienne à propos des morts : ils en ont fini avec la peine d'aimer - pas avec sa douceur. En fait la sainte parle de travail et non de douceur, mais ce dernier mot me semble plus juste, d'ailleurs il contient l'autre : s'il nous faut dans cette vie travailler  à quelque chose, c'est bien à faire venir cette douceur aimante qui n'est que l'autre nom de la force.


Extrait de L'épuisement

APERCU BIOGRAPHIQUE


Christian Bobin né le 24 avril 1951 au Creusot est décédé le 23 novembre 2022 à Châlon-sur-Saône. Il fut un enfant solitaire aimant la compagnie des livres. Après des études de philosophie, il a travaillé pour la bibliothèque municipale d'Autun, à l'Eco-musée du Creusot et à la revue Milieux. 

Ses premiers essais poétiques datent de 1980. Mais le livre qui le fit connaître est son saint François d'Assise, publié sous le titre le Très Bas , qui obtint en 1993 le prix des Deux Magots et le Grand prix catholique de littérature. Son dernier ouvrage en date, écrit sur son lit d’hôpital, est Le Murmure.


L'OEUVRE


Elle cultive l'essai, la poésie, dans le cadre parfois du journal, de la nouvelle ou du roman et se présente souvent sous la forme de fragments descriptifs écrits dans un style minimaliste.

Elle compte aujourd'hui une soixantaine d'ouvrages.

BODHIDHARMA

Il est deux façons principales d'accéder à la Voie : l'accès par le principe et l'accès par la pratique.


L'accès par le principe consiste à croire profondément en l'immanence dans tous les êtres d'une nature unique et véritable qu'un voile d'irréalités ne fait que masquer. Si l'on rejette l'erreur pour faire retour à la vérité, par la contemplation murale, il n'y a plus de distinction entre soi-même et autrui. Demeurer ferme et constant, affranchi de l'enseignement discursif, c'est s'accorder mystérieusement avec le vrai principe.


L'accès par la pratique renvoie aux quatre pratiques qui résument toutes les autres :


1) Savoir répondre à la haine, faire obstacle au ressentiment devant l'adversité en comprenant les erreurs qui sont à son origine.


2) Être en accord avec les conditions, en accueillant avec équanimité les peines et les plaisirs qui tous résultent des conditions qui les produisent.


3) Ne rien tenir pour vraiment désirable. Par désir on entend que les hommes, dans un égarement incessant, s'obstinent à convoiter toutes choses inconsistantes.


4) Être en parfaite harmonie avec le Dharma (le principe universel) : A l'instar du Dharma qui est par essence prodigue, le sage n'épargne ni son corps ni ses richesses dans sa pratique de l'aumône et son esprit est également généreux. Pénétrant la triple vacuité, il est indépendant et sans attachement. Ayant éliminé en lui les impuretés, il aide et guide les êtres.


Rechercher le nirvâna en éliminant les passions est comme rechercher l'ombre en enlevant le corps. Chercher le Bouddha en rejetant les êtres est comme chercher l'écho en faisant taire la voix.


Les Bouddhas parlent de la vacuité afin de détruire les vues fausses. Mais si vous vous attachez à la vacuité, les bouddhas eux-mêmes ne peuvent plus rien pour vous.


Le fait que l'esprit ne dépende de rien est nommé libération. Le fait qu'il soit affranchi de toute illusion est nommé éveil. Le fait qu'il soit tranquille, apaisé, est nommé nirvâna.


S'il est une seule chose que vous teniez pour précieuse ou importante, c'est celle qui pourra vous lier mortellement et vous faire tomber dans le domaine du mental.


Parce qu'il peut nous délivrer de la peur, le Dharma est un lieu de grande paix.


Si le sage fait face à la douleur sans s'affliger et au plaisir sans s'attacher c'est qu'il ne perçoit aucun moi... c'est qu'il a mis fin au moi... combien sont-ils dans le monde, ceux qui ont su perdre leur moi ?... L'existence des passions est due à l'attachement au moi.


S'en remettre aux choses et suivre l'inspiration du moment est facile, transformer les choses en leur résistant est difficile. Lorsque les choses désirent venir, accueillez-les sans vous y opposer ; lorsqu'elles désirent partir, laissez-les aller sans les reconduire. tout ce qui a été accompli, dépassez-le sans regrets ; tout ce qui n'est pas encore arrivé, laissez-le advenir et n'y pensez plus. Ainsi fait le pratiquant de la Voie. Celui qui peut s'en remettre au cours des choses se confie au monde entier, et le gain et la perte ne dépendent pas de son moi. S'il s'abandonne sans résister, se laisse aller sans s'opposer, où et quand manquerait-il d'aise ?


Traité de Bodhidharma (Éd. Le Mail - 1986)

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Bodhidharma est un personnage que la tradition du bouddhisme chan donne pour être son fondateur. On sait peu de choses sur lui, et le peu qu'on sait est nimbé de légende. Néanmoins, se sont cristallisées autour de son nom les grandes intuitions du premier Chan chinois.


Pour cette école, Bodhidharma est un moine indien venu en Chine introduire une forme particulière de bouddhisme. Ce premier patriarche chinois pratiquait un type spécial de méditation : la contemplation murale, excluait l'utilisation des écritures bouddhistes et demandait de plonger dans la connaissance de son propre esprit. Sa doctrine fut condensée dans un quatrain :


Transmission hors des écritures.
Pas de textes sacrés.
Aller directement à l'esprit de l'homme.
S'éveiller en voyant sa propre nature.


On rapporte que dans un entretien avec l'empereur de Chine, celui-ci ayant demandé à Bodhidharma quels étaient ses mérites (vu la protection qu'il avait accordé au bouddhisme) s'entendit répondre : "Aucun". Sa deuxième question : "Quelle est la vérité fondamentale du bouddhisme" reçut la réponse : "Un vide insondable et rien de sacré". Et quand perplexe, l'empereur demande à Bodhidharma qui il était, celui-ci lui répondit qu'il n'en savait rien. Après quoi, toujours selon la tradition, le moine se retira neuf ans dans une grotte pour méditer.


Notons enfin que le personnage est entré dans le folklore populaire japonais (Daruma).


L'OEUVRE


Le traité de Bodhidharma, s'il n'est pas de lui, est pourtant le plus ancien texte du bouddhisme chan. Il constitue une anthologie de la première école du Chan apparue au VIème siècle en Chine. Le texte lui-même remonte au VIIème s. Après une éclipse d'une dizaine de siècles, il a été redécouvert au début du XXème siècle dans une grotte de Dunhuang, aux confins de la Chine, sur l'ancienne route de la Soie. Il a été traduit en français par Bernard Faure et est publié aux éditions du Mail (1986).

BOÈCE

La Fortune est plus bénéfique aux êtres humains quand elle est mauvaise que quand elle est bonne. L'une, en effet, quand elle se montre séduisante, est toujours en train de mentir avec son apparence de bonheur ; l'autre, au contraire, est toujours sincère quand elle révèle, par ses volte-face, son instabilité. L'une trompe, l'autre instruit ; l'une en faisant croire à un faux bonheur, ligote l'âme de ceux qui y trouvent leur jouissance, l'autre la libère en lui faisant prendre conscience de la précarité de la chance... La bonne Fortune use de ses charmes pour égarer les gens loin du bien véritable, tandis que la mauvaise les accroche au passage pour les ramener vers les véritables valeurs.


N'espère rien, n'aie peur de rien

Et tu désarmeras ton adversaire.

Quand on est agité par la crainte ou l'espoir,

Faute d'être calme et de se contrôler

On lâche son bouclier, on abandonne son poste

Et on resserre le lien qui sert à nous traîner.


Qu'est-ce que la santé des âmes sinon la bonté ? Et leur maladie sinon la méchanceté ?

Les sages n'éprouvent pas la moindre tentation de haine. Car qui pourrait haïr les bons, sinon des imbéciles ? Quant à haïr les méchants, ce serait déraisonnable. Si en effet, de même que l'asthénie est une maladie du corps, la méchanceté est une sorte de maladie de l'âme, étant donné qu'à nos yeux, les gens malades dans leur corps ne méritent absolument pas d'être haïs mais plutôt d'être pris en pitié, raison de plus de prendre en pitié plutôt que de les harceler, ceux dont l'âme est accablée par un mal plus pitoyable que n'importe quelle forme d'asthénie : la méchanceté.


Veux-tu retourner à autrui ce qu'il mérite ?

Aime les bons et prends pitié des méchants.


Plus une chose s'éloigne de l'Intelligence suprême, plus les liens du destin l'enserrent, et une chose est d'autant moins dépendante du destin qu'elle se rapproche étroitement de ce pivot de l'univers. Si elle adhère fermement à l'Intelligence supérieure stable, elle échappe aussi à la nécessité du destin.

Si tu veux, sous une lumière limpide discerner le vrai,

Coupe au plus court : chasse les joies, chasse la peur, 

Défie-toi de l'espoir, éloigne la douleur.

L'esprit est embrumé et bridé quand il est sous leur emprise

.

La sagesse consiste à évaluer la finalité de toutes choses et c'est précisément cette faculté de passer d'un extrême à l'autre qui ne rend pas redoutables les menaces de la Fortune, ni souhaitables, ses séductions.


Si on cherche profondément le vrai

Et qu'on désire ne pas se fourvoyer,

On doit réfléchir sur soi sa lumière intérieure,

Concentrer les amples mouvements de sa pensée

Et apprendre à son âme que ce qu'elle entreprend au-dehors,

Elle le possède déjà, déposé secrètement en elle.


Tout homme heureux est un dieu. Bien qu'il n'y ait évidemment qu'un seul Dieu par nature, par participation, rien n'empêche qu'il n'y en ait autant qu'on veut.


O bienheureux genre humain

Si votre coeur obéit à l'amour

Auquel obéit le ciel.


Vous cherchez, je crois, à bannir le besoin par l'abondance. Or cela vous mène au résultat inverse. En effet, on a besoin de nombreuses aides pour protéger son mobilier précieux, quand on en a beaucoup, et il vrai que les besoins sont multiples quand on possède beaucoup, alors qu'ils sont très réduits quand on mesure sa richesse à ce que nécessite la nature et non à une ambition démesurée.


Si le besoin, éternelle bouche béante sans cesse à l'affût, trouve sa satisfaction dans les richesses, il subsiste nécessairement un autre besoin à satisfaire. Sans compter qu'il suffit d'un rien pour satisfaire la nature tandis que rien ne suffit à satisfaire la convoitise. Dans ces conditions, si les richesses, loin d'écarter le besoin, créent elles-mêmes leurs propres besoins, comment peut-on croire qu'elles offrent une garantie d'indépendance ?


Mais non ! Plus dévastateur que l'Etna,

Brûle le dévorant désir de posséder !

Où se cache le bien qu'ils convoitent,

Peu leur importe de l'ignorer :

Au lieu de le chercher par-delà le ciel étoilé,

Ils le cherchent, englués dans la terre...

Comment les blâmer à la mesure de leur bêtise ?

Qu'ils sollicitent richesse et honneurs !

Quand ils auront peiné pour acquérir les faux biens,

Qu'ils apprennent alors à distinguer les vrais.


Accorde, Père, à mon esprit de rejoindre le lieu de ton règne,

Accorde-lui de visiter la source du bien, de trouver la lumière

Et de ne plus poser que sur Toi les regards de mon âme.

Disloque les nuages et pesanteurs de la masse terrestre

Et resplendis de tous tes feux ! Car Tu es la sérénité, 

Tu es le repos et la paix des justes : Te voir est leur fin,

Toi l'origine, le conducteur, le guide, le chemin et l'arrivée tout à la fois.


Extraits de la Consolation de la Philosophie (Ed. Rivages - 1989)


APERÇU BIOGRAPHIQUE


Boèce (480-524), né d'une famille aristocratique, exerça sous le règne de l'empereur goth Theodoric d'importantes charges politiques (consul, maître du palais). Philosophe et théologien de grande culture, il se proposa de traduire et commenter Aristote et Platon en latin, et laissa en ce sens une oeuvre qui initia le Moyen Age à ces deux grands philosophes. Calomnié par des esprits jaloux et emprisonné par l'empereur même qu'il servait, il fut torturé et finalement mis à mort par ce denier. Dans sa prison, il composa, avant d'être exécuté, un ouvrage qui est un chef d'oeuvre de la littérature universelle : la Consolation de la Philosophie.

L'OEUVRE


Boèce a traduit et commenté quelques oeuvres logiques d'Aristote et l'Isagogue de Porphyre. Il a composé aussi d'autres oeuvres de logique, d'arithmétique, de musique, et de courts traités de théologie.

La Consolation de la philosophie reste son ouvrage le plus célèbre et le plus accessible aujourd'hui. Avant sa mort tragique qu'il a vu venir dans sa prison, Boèce y fait appel à la sagesse antique, stoïcienne et platonicienne, pour faire face dignement au malheur qui l'accable.

On peut en trouver une édition de poche avec une excellente préface de Marc Fumaroli : BOÈCE, Consolation de la Philosophie (Ed. Rivages - 1989).

TIERNO BOKAR

Les oiseaux blancs et les oiseaux noirs


Les hommes sont les uns par rapport aux autres, comparables à des murs situés face à face. Chaque mur est percé d'une multitude de petits trous où nichent des oiseaux blancs et des oiseaux noirs. Les oiseaux noirs, ce sont les mauvaises pensées et les mauvaises paroles. Les oiseaux blancs, ce sont les bonnes pensées et les bonnes paroles.


Les oiseaux blancs, en raison de leur forme, ne peuvent entrer que dans des trous d'oiseaux blancs, et il en va de même pour les oiseaux noirs qui ne peuvent nicher que dans des trous d'oiseaux noirs. Maintenant, imaginons deux hommes qui se croient ennemis l'un de l'autre. Appelons-les Youssouf et Ali.


Un jour, Youssouf, persuadé que Ali lui veut du mal, se sent empli de colère à son égard et lui envoie une très mauvaise pensée. Ce faisant, il lâche un oiseau noir et, du même coup, libère un trou correspondant. Son oiseau noir s'envole vers Ali et cherche, pour y nicher, un trou vide adapté à sa forme.


Si, de son côté, Ali n'a pas envoyé d'oiseau noir vers Youssouf, c'est-à-dire s'il n'a émis aucune mauvaise pensée, aucun de ses trous noirs ne sera vide. Ne trouvant pas où se loger, l'oiseau noir de Youssouf sera obligé de revenir vers son nid d'origine, ramenant avec lui le mal dont il était chargé, mal qui finira par ronger et par détruire Youssouf lui-même.


Mais imaginons qu'Ali a, lui aussi, émis une mauvaise pensée. Ce faisant, il a libéré un trou où l'oiseau noir de Youssouf pourra entrer afin d'y déposer une partie de son mal et y accomplir sa mission de destruction. Pendant ce temps, l'oiseau noir d'Ali volera vers Youssouf et viendra loger dans le trou libéré par l'oiseau noir de ce dernier. Ainsi les deux oiseaux noirs auront atteint leur but et travailleront à détruire l'homme auquel ils étaient destinés.


Mais une fois leur tâche accomplie, ils reviendront chacun a son nid d'origine car, est-il dit: :"Toute chose retourne à sa source." Le mal dont ils étaient chargés n'étant pas épuisé, ce mal se retournera contre leurs auteurs et achèvera de les détruire. L'auteur d'une mauvaise pensée, d'un mauvais souhait ou d'une malédiction est donc atteint à la fois pas l'oiseau noir de son ennemi et par son propre oiseau noir lorsque celui-ci revient vers lui.


La même chose se produit avec les oiseaux blancs. Si nous n'émettons que de bonnes pensées envers notre ennemi alors que celui-ci ne nous adresse que de mauvaises pensées, ses oiseaux noirs ne retrouveront pas de place où loger chez nous et retourneront à leur expéditeur. Quant aux oiseaux blancs porteurs de bonnes pensées que nous lui aurons envoyés, s'ils ne trouvent aucune place libre chez notre ennemi, ils nous reviendront chargés de toute l'énergie bénéfique dont ils étaient porteurs.


Ainsi, si nous n'émettons que de bonnes pensées, aucun mal, aucune malédiction ne pourront jamais nous atteindre dans notre être. C'est pourquoi il faut toujours bénir et ses amis et ses ennemis. Non seulement la bénédiction va vers son objectif pour y accomplir sa mission d'apaisement, mais encore elle revient vers nous, un jour ou l'autre, avec tout le bien dont elle était chargée.


C'est ce que les soufis appellent "l'égoïsme souhaitable". C'est l'Amour de Soi valable, lié au respect de soi-même et de son prochain.


Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le sage de Bandiagara. (Editions du Seuil, 1980)


APERÇU BIOGRAPHIQUE 


Tierno Bokar (1875- 1930) est un sage africain d'origine soudanaise. A la fin du XIXème siècle, le Soudan a subi des guerres internes tribales et l'installation de la colonisation française. La famille de Tierno Bokar a dû alors le quitter pour s'installer au Mali, en pays dogon, à Bandiagara.


Qui est ce sage ? Un Africain d'abord, très enraciné dans les traditions africaines bambara, haoussa, peul et dogon, qu'il a reçues de sa famille et de son environnement ; un musulman aussi se rattachant au soufisme africain, très différent de l'islam arabe car il s'agit d'un islam pacifiste pour qui la guerre sainte, le djihad, est une lutte que le croyant doit mener en lui-même contre l'obscurantisme, l'égoïsme et la violence que chacun porte en soi.


Tierno Bokar s'exprime souvent à travers des contes, des paraboles. Son message est avant tout un message d'amour, de paix, de réconciliation. Il l'a enseigné dans le cadre d'une confrérie soufie et d'une école coranique : une zaouïa, où les enfants qu'il instruisait menaient une vie simple et recevaient un enseignement gratuit qui s'interrompait au moment des travaux des champs.


Parmi ceux qui ont reçu cet enseignement se trouvait Amadou Hampâté Bâ, un autre Africain qui s'est donné pour mission de faire connaître la sagesse de Tierno Bokar et a réussi à le faire grâce à son ami, Théodore Monod, dans un ouvrage dont le titre est "Le sage de Bandiagara". Amadou Hampâté Bâ est d'ailleurs lui-même une sorte de sage, très engagé dans le dialogue des cultures et des religions. Occupant un poste de responsabilité à l'Unesco, il disait : "En Afrique, quand un vieillard meurt c'est une bibliothèque qui brûle."

BOUDDHA

Voici, ô moines, la Noble Vérité sur la souffrance : la naissance est souffrance, la maladie est souffrance, la vieillesse est souffrance, la mort est souffrance, l'union avec ce qu'on n'aime pas est souffrance, la séparation d'avec ce qu'on aime est souffrance, l'impuissance à obtenir ce que l'on désire est souffrance. En bref, les cinq agrégats d'attachement sont souffrance.


Voici, ô moines, la Noble Vérité sur la cause de la souffrance : c'est la soif, l'avidité passionnée, qui conduit de naissance en naissance, à chercher une nouvelle jouissance ici, une autre là : soif des plaisirs des sens, soif de l'existence et du devenir, soif de la non existence.


Voici, ô moines, la Noble Vérité sur la cessation de la souffrance : c'est la cessation complète de cette soif, la non-attirance, le renoncement, la délivrance, le détachement.


Voici encore, ô moines, la Noble Vérité sur le chemin qui conduit à la cessation de la souffrance : c'est le noble chemin octuple, à savoir : vue juste, intention juste, action juste, moyen d'existence juste, effort juste, attention juste et juste samadhi.


Telle est la noble Vérité sur la souffrance. Ainsi, ô moines, sur toutes ces choses qui n'avaient pas été comprises, mes yeux se sont ouverts et sont apparues la vision, la connaissance, la sagesse, la science, la lumière.


Sermon de Bénarès


Celui qui a abdiqué la violence envers tous les êtres vivants,

qu'ils soient faibles ou qu'ils soient forts,

Qui ne tue ni n'incite à tuer...

Celui qui est amical au milieu de l'hostilité, 

pacifique au milieu de la violence,

libre au milieu des attachements...

Celui de qui se sont détachés le désir, la haine, l'orgueil et le mensonge,

comme une graine de moutarde tombe de la pointe d'une aiguille...

Celui dont les mots sont tout de douceur, d'enseignement, de vérité,

et qui n'offense personne par ses paroles...

Celui qui n'a soif ni de ce monde ni du prochain...

et a plongé dans l'immortalité...

Celui qui a dépassé le bien et le mal ainsi que leurs liens...

qui médite, libre de désirs et de doutes, détaché de tout, apaisé...

Celui qui marche sans demeure, ayant renoncé à la soif...

qui a quitté plaisirs et déplaisirs...

qui n'est attaché ni au passé, ni au futur, ni au présent,

qui ne possède rien et à rien ne prétend.

L'homme sans désirs, au savoir accompli, l'éveillé

qui voit les cieux et les enfers et qui est arrivé au bout des renaissances...

C'est lui que j'appelle un brahmane.


Dhammapada 405 s 


Ô moines, il y a deux extrêmes à éviter : l'attachement aux plaisirs, avilissant, sensuel, vulgaire, sans noblesse ni profit, et l'attachement aux mortifications, douloureux, sans noblesse, associé à la douleur. Le Tathagata s'est détourné de ces deux extrêmes, il a découvert le chemin du milieu qui dessille les yeux de l'esprit, qui mène à la sagesse, à l'apaisement, à la connaissance surnaturelle, à l'éveil parfait, au nirvana."


Majjhimanikaya, III.


Comment atteindre la liberté du coeur sans mesure ? 

Par l'amour infini d'un coeur affranchi des flux impurs, un moine demeure faisant rayonner son coeur plein de bienveillance dans les quatre directions de l'espace... Partout en toute région de l'univers, il demeure faisant rayonner son coeur plein de bienveillance, étendu, profond, au-delà de toute mesure, sans inimitié ni hostilité. Il y fait rayonner son coeur plein de compassion, de joyeuse sympathie, d'équanimité. 

Telle est la liberté du coeur sans mesure.


Majjhimanikaya, I.

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Avant de devenir le Bouddha, le prince Sakyamuni a connu plusieurs modes de vie. La première partie de son existence se passe dans un univers heureux, au nord de l'Inde, au VIème s. av.J.C. : heureux pour autant que la jeunesse, la richesse et un environnement protecteur peuvent procurer un certain bonheur.

La rencontre brutale de la vieillesse, de la maladie et de la mort, sous la forme - dit la légende - d'un vieillard brisé par l'âge, d'un malade atteint de peste noire, et d'un cadavre conduit au bûcher, détruit cet univers artificiel. Sakyamuni découvre qu'il vit en fait sur un îlot baigné d'un océan de souffrance et cette découverte brise sa coquille d'enfant gâté. Ce n'est pas encore chez lui la naissance de la compassion, mais la prise de conscience que la vieillesse, la maladie et la mort existent et le concernent : qu'il n'en est pas réellement protégé et doit y faire face. Il aurait pu retourner frileusement dans son cocon, mais au lieu de cela, il se lance vigoureusement dans le monde qu'il vient de découvrir pour trouver une solution au problème de la souffrance. 

Cette solution, il l'entrevoit d'abord dans une vie de renoncement. Puisque les plaisirs, les divertissements, la vie facile, sont fallacieux et camouflent en fait une réalité cruelle, il passe à l'autre extrême et s'impose une vie de privations, d'austérités, comme le faisaient d'autres ascètes à son époque. Il cherche des maîtres, des compagnons et avance avec détermination sur cette nouvelle voie. Il s'y retrouve un jour, épuisé, dévitalisé, mais n'ayant pas pour autant résolu son problème. Arrivé presque aux portes de la mort, il prend alors conscience qu'il s'est mis dans une autre impasse et revient sur ses pas. Il ne retourne pas à son existence facile, mais reprend goût à la vie et décide d'abandonner ses pratiques d'austérité, avec la même détermination qu'il avait laissé sa vie de plaisirs.

Rendu à ce point, il cherche et trouve un équilibre, une voie intermédiaire entre divertissement et renoncement, entre vie facile et vie ascétique. La grande nouveauté de cette période est que la solution au problème de la souffrance n'est plus cherchée dans une démarche volontariste, de renoncement et de violence sur soi-même, mais dans une recherche de compréhension, dans une attitude méditative. Presque en même temps que Socrate, Sakyamuni cherche à comprendre et à se comprendre : "Connais-toi toi-même !" Pourquoi souffre-t-on ? Pourquoi n'est-on pas heureux ? Comprendre, au sens étymologique du terme signifie prendre avec, prendre avec soi. Sakyamuni prend avec lui la vie, la regarde en face, telle qu'il la voit surgir autour de lui et en lui. Il laisse de côté ce qu'on lui a appris et devient attentif à tout et en premier lieu à ce qui est le plus proche, c'est-à-dire lui-même, son esprit, son mental.

Dans cette période méditative, qui n'est plus sous le signe d'un vouloir ascétique mais d'une intelligence compréhensive, il découvre de manière vécue, profonde, quelques grandes vérités : l'insatisfaction de tout désir, la solidarité des êtres, l'impermanence des choses et l'inconsistance de son ego. 

Un jour cette méditation, vécue avec lucidité et passion, débouche sur une lumière, une illumination soudaine, d'une puissance imprévue, imprévisible. Sakyamuni devient le Bouddha, l'éveillé. Tous les fantasmes dans lesquels il vivait encore s'évanouissent et il voit la réalité telle qu'elle est dans sa globalité et sa profondeur. Cette lumière le libère de ses illusions et de la souffrance qu'elles engendrent. Elle le lance aussi dans un dernier parcours qui va être celui de la prédication. Le fruit de son illumination n'est pas seulement la liberté mais la compassion. Tout le reste de sa vie, qui va être longue, le Bouddha va l'employer à aider ses semblables à découvrir ce qu'il a découvert, afin qu'eux aussi voient la vérité et deviennent libres.


PAROLES


Le Bouddha n'a rien écrit et les nombreux sermons (sûtras) qu'on lui attribue sont rapportés dans des textes pour la plupart tardifs, ce qui n'enlève rien à leur valeur spirituelle. Le sermon de Bénarès est sans doute le plus près, historiquement, de son message. mais aussi le Dhammapada : 83 versets qui rapportent des paroles prononcées par le Bouddha au cours de ses 45 années de prédication. On peut en trouver une édition dans la collection Points Sagesses publiée par le Seuil.