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chez Alain Delaye

A L’ÉCOUTE DES SAGES

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ANDRÉ COMTE-SPONVILLE

La gratitude est la plus agréable des vertus... un second plaisir, qui en prolonge un premier : comme un écho de joie à la joie éprouvée, comme un bonheur en plus pour un plus de bonheur. Quoi de plus simple ? Plaisir de recevoir, joie d'être joyeux : gratitude. La gratitude n'a rien à donner, que ce plaisir d'avoir reçu. Quelle vertu plus légère, plus lumineuse... quelle vertu plus heureuse et plus humble, quelle grâce plus facile et plus nécessaire que de rendre grâce.


Remercier, c'est donner ; rendre grâce, c'est partager. Ce plaisir que je te dois, ce n'est pas pour moi seul. Cette joie, c'est la nôtre. Ce bonheur, c'est le nôtre. L'égoïste peut se réjouir de recevoir, mais sa jouissance même est son bien qu'il garde pour lui seul. C'est pourquoi l'égoïste est ingrat : non parce qu'il n'aime pas recevoir, mais parce qu'il n'aime pas reconnaître ce qu'il doit à autrui, et que la gratitude est cette reconnaissance.

Que donne la gratitude ? Elle se donne elle-même : comme un écho de joie, disais-je, par quoi elle est amour, par quoi elle est partage, par quoi elle est don. C'est plaisir sur plaisir, bonheur sur bonheur, gratitude sur générosité... 


Il y a lieu toutefois de se demander si toute joie reçue, quelle qu'en soit la cause, ne peut pas être l'objet de cette joie en retour qu'est la gratitude. Comment ne pas savoir gré au soleil d'exister ? A la vie, aux fleurs, aux oiseaux ? Aucune joie ne me serait possible sans le reste de l'univers... Tout se tient, et nous tient, et nous traverse. Tout amour, poussé à sa limite, devrait donc tout aimer : tout amour devrait être amour de tout, et cela ferait comme une gratitude universelle.... La vie est grâce, l'être est grâce, et c'est la plus haute leçon de la gratitude.


La gratitude se réjouit de ce qui a eu lieu, ou de ce qui est. Elle est ainsi l'inverse du regret ou de la nostalgie, comme aussi de l'espérance ou de l'angoisse, qui désirent ou craignent. Le sage, se réjouit de vivre, certes, mais aussi d'avoir vécu. La gratitude est cette joie de la mémoire, cet amour du passé... le souvenir joyeux de ce qui fut. C'est le temps retrouvé... La mort ne nous privera que de l'avenir, qui n'est pas. La gratitude nous en libère, par le savoir joyeux de ce qui fut. La reconnaissance est une connaissance, c'est par quoi elle touche à la vérité qui est éternelle, et l'habite. Gratitude : jouissance d'éternité.


"L'amitié mène sa danse autour du monde, disait Épicure, nous enjoignant à tous de nous réveiller pour rendre grâce." Merci d'exister, se disent-ils l'un à l'autre, et au monde, et à l'univers. Cette gratitude-là est bien une vertu : puisque c'est le bonheur d'aimer, et le seul.


La gratitude, Petit traité des grandes vertus (PUF - 1995)

L'OEUVRE


Ancien élève de l'École normale supérieure et agrégé de philosophie, docteur de troisième cycle, maître de conférence à l'université Paris-I (Panthéon-Sorbonne), André Comte-Sponville a quitté cette fonction après la parution de son Petit traité des grandes vertus, prix la Bruyère de l'Académie française 1996. Cet ouvrage dont nous donnons un extrait est l'un des ouvrages de philosophie qui ont réalisé ces dernières années les plus gros tirages. Il a été traduit en 24 langues.


A. Comte-Sponville a publié de très nombreux livres, notamment un Traité du désespoir et de la béatitude en deux volumes, aux PUF en 1984 et 1988, L'amour la solitude en 1992 aux éditions Paroles d'Aube, et La Sagesse des Modernes, avec Luc Ferry, chez Robert Laffont en 1998.

Parmi ses nombreuses publications relevons son Dictionnaire philosophique (PUF - 2001) ; Le goût de vivre et cent autres propos (Albin Michel, 2010) ; Contre la peur et cent autres propos (Albin Michel, 2019)

MARCEL CONCHE

Qu'est-ce que contempler ? Contempler la tourterelle, la pie, la grenouille, la mouche, c'est se placer, en mystique, devant le mystère de la vie, c'est éprouver, devant la tourterelle que l'on voit, et qui vit le monde en tourterelle d'une manière pour nous totalement inconnaissable... le sentiment du sacré.


Contempler, c'est ne pas aller au-delà de la chose même pour la réduire à ce qu'elle signifie, à une interprétation, à une connaissance. C'est prendre le monde tel qu'il est, sans vouloir l'expliquer par une cause ou une fin. Je vois ce monde comme n'ayant ni cause explicative, ni fin, ni modèle, ni fond caché, et, à chaque instant comme venant de naître. Il n'y a pas d'arrière-monde, et le monde ne recèle aucun mystère. Il est lui-même le mystère. Ce mystère est si voyant qu'il faut l'homme pour ne pas le voir. Car l'homme ne voit que l'homme.


Ce qui ne se donne qu'à la dépréoccupation, la préoccupation ne peut le rencontrer. Ne soyons plus qu'un regard pur et sans intention. Alors, ce qui nous est le plus proche cesse de nous être lointain. 


Le vouloir qui arraisonne les choses, l'entreprise de la vie font obstacle à l'ouverture accueillante de ce qui existe, de ce qu'il y a. Mais, comme l'âme dans l'état mystique s'oublie elle-même, oublions l'homme en nous, et, dans l'extase mondaine, laissons le mystère se livrer à nous. La chose en soi n'ayant pas de rôle à jouer, ne renvoyant à rien au-delà d'elle-même, se montre alors avec l'insistance de sa singularité.


Ici, la pensée du philosophe et celle du poète s'orientent différemment. Le philosophe, qui ne peut résister à l'appel de l'universel, voit, représentée dans cette chose singulière, la condition de toutes les choses singulières. Sa précarité, sa périssabilité sont celles de toutes et de tout... C'est un autre chemin que suit le poète. Il ne philosophe pas, mais il cède à un charme. Car toute chose singulière dégage une sorte de charme pour qui sait aimer... Être poète suppose une capacité de sympathie, d'empathie, grâce à laquelle on est sensible à ce qu'apporte chaque chose singulière et qu'elle est seule à apporter. Le langage conceptuel est comme un filet aux mailles trop larges pour retenir le poisson. Le poète défie le concept, le supplée par l'image.


Pour le poète et le philosophe cependant, contempler, c'est refuser d'intervenir dans la vie du monde ; c'est laisser libre ce qui est au monde ; c'est se perdre dans l'admiration de ce monde, riche, au-delà du monde humain, de mondes innombrables.


Vivre et philosopher (PUF - 1993).

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Marcel Conche est présenté par les éditeurs qui le publient comme : agrégé de philosophie, docteur ès lettres, lauréat de l'Académie française, professeur émérite à la Sorbonne, et l'auteur de nombreux ouvrages et articles. Il fut l'un des maîtres d'André Comte-Sponville qui a contribué à le faire connaître.

Ce que nous retiendrons de lui cependant est la qualité et la modestie de sa philosophie. Il est, aujourd'hui en France, l'un de nos bons métaphysiciens et l'un des meilleurs spécialistes, pour la langue et pour la pensée, de la sagesse présocratique.


QUELQUES OUVRAGES


- Montaigne ou la conscience heureuse (Éd. de Mégare - 1992).

- Lucrèce et l'expérience (Éd. de Mégare - 1996).

- Pyrrhon ou l'apparence (PUF - 1994).

- Épicure, Lettres et maximes, texte, traduction, introduction et notes (PUF - 1999).

- Temps et destin (PUF - 1999).

- Héraclite, Fragments, texte établi, traduit et commenté (PUF - 1998).

- Nietzsche et le bouddhisme (Encre marine - 1997).

- Anaximandre, Fragments et témoignages, texte, trad., introduction, commentaires (PUF - 1991).

- Vivre et philosopher (PUF- 1998).

- Montaigne et la philosophie (PUF - 1999).

- Parménide, le Poème : Fragments, texte, traduction, introduction, commentaire.

- Analyse de l'amour et autres sujets (PUF - 1999).

- Le sens de la philosophie (Encre marine - 1999).

- Le destin de la solitude (Encre marine - 1999).

- Présence de la nature (PUF - 2001).

- Sur Epicure, (Encre marine, 2014)

- Penser encore : sur Spinoza et autres sujets (Encre marine, 2016)

- Nouvelles pensées de métaphysique et de morale (Encre marine, 2017)

CONFUCIUS

Le sage ne s'afflige pas de ce que les hommes ne le connaissent pas ; il s'afflige de ne pas connaître les hommes.


Si l'on considère les actions d'un homme et les motifs qui le font agir, si l'on examine ce qui fait son bonheur, pourra-t-il cacher ce qu'il est ?


Le sage aime tous les hommes et n'a d'engouement pour personne. L'homme ordinaire est partial et n'aime pas tous les hommes.


Les richesses et les honneurs sont très désirés par les hommes ; si vous ne pouvez les obtenir par des voies honnêtes, ne les acceptez pas. La pauvreté et le mépris leur sont en horreur ; si elles vous viennent sans faute de votre part, ne les fuyez pas.

Celui qui le matin a compris les enseignements de la sagesse, le soir peut mourir content.


Celui qui dans ses entreprises cherche uniquement son intérêt, excite beaucoup de mécontentements.


Le disciple de la sagesse est intelligent en ce qui regarde la conduite à tenir, et l'homme ordinaire, en ce qui concerne son intérêt propre.


Le sage secourt les indigents et n'ajoute pas à l'opulence des riches.


Dépasser les limites n'est pas un moindre défaut que de rester en deçà.


La vertu qui se tient dans l'invariable milieu est la plus haute perfection. Peu d'hommes la possèdent, et cela depuis longtemps.


Un homme parfait veut se tenir ferme lui-même, et il affermit les autres ; il désire comprendre lui-même, et il instruit les autres. La vertu parfaite consiste à juger des autres par soi-même, et à les traiter comme on désire être traité.


Le sage, fût-il réduit à manger une nourriture grossière, à boire de l'eau, et à dormir la tête appuyée sur son bras, conserve sa joie au milieu des privations. Les richesses et les dignités obtenues par de mauvaises voies sont comme des nuées qui flottent dans les airs.


Si je voyageais avec deux compagnons, l'un vertueux et l'autre vicieux, tous deux me serviraient de maîtres. J'examinerais ce que le premier a de bon et je l'imiterais ; les défauts que je reconnaîtrais en l'autre, je tâcherais de les corriger en moi-même.

Est-ce que j'ai beaucoup de science ? Je n'ai pas de science. Mais quand un homme de la plus humble condition m'interroge, fût-il très ignorant, je discute la question d'un bout à l'autre, sans rien omettre.


Tout passe comme l'eau d'une rivière ; rien ne s'arrête ni jour ni nuit.


Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse à vous-même.


L'homme sage est exempt de chagrin et de crainte. Celui qui, examinant son coeur, ne reconnaît en lui aucune faute, quel chagrin, quelle crainte aurait-il ?


Entendre les plaideurs et rendre la justice, je le puis, tout comme un autre. L'important serait de faire qu'il n'y eût plus de plaideurs.


Pour gouverner le peuple, Seigneur, avez-vous besoin de la peine de mort ? Vous-même veuillez sérieusement être vertueux, et votre peuple le sera ; la vertu du prince est comme le vent ; celle du peuple, est comme l'herbe. Au souffle du vent, l'herbe se courbe.


La vertu d'humanité consiste à aimer les hommes ; celle de prudence à les connaître.


Avertissez vos amis avec franchise, et conseillez-les avec douceur. Mais s'ils n'approuvent pas vos avis, arrêtez de leur en donner.


Conduire le peuple à la guerre, avant de l'avoir formé à la vertu, c'est le mener à sa perte.


Celui qui, en présence d'un profit à retirer, craint de violer la justice, qui, en face du danger, ne craint pas d'affronter la mort, qui, même après de longues années, n'oublie pas ses engagements, peut être considéré comme parfait.


Un sujet doit éviter de tromper son maître, mais ne pas craindre de lui résister.


Le sage est modeste dans ses paroles, mais il fait plus qu'il ne dit.


Personne ne me connaît. Je ne me plains pas du Ciel, et n'accuse pas les hommes. Je m'applique à l'étude de la sagesse. En commençant par les principes de base, j'avance pas à pas. Celui qui me connaît, c'est le Ciel.


Il est cruel celui qui, replié dans sa vie privée, n'a pas compassion des autres.


Un homme parfait ou résolu à le devenir, ne cherche jamais à sauver sa vie au détriment de sa vertu. Il est des circonstances où il sacrifie sa vie, et met ainsi le comble à sa vertu.


Le sage est maître de lui-même et n'a de contestation avec personne ; il est sociable, mais n'est pas homme de parti.

Le sage s'attache fortement à la vérité et au devoir ; il ne s'attache pas opiniâtrement à ses idées.


Si vous ne pouvez pas travailler pour le bien public, quittez votre charge.


Le sage donne une attention spéciale à neuf choses. Il s'applique à bien voir ce qu'il regarde, à bien entendre ce qu'il écoute ; il a soin d'avoir un air aimable, une tenue irréprochable, d'être sincère dans ses paroles, diligent dans ses actions ; dans ses doutes, il interroge ; lorsqu'il est mécontent, il pense aux suites de la colère ; en face d'un bien à obtenir, il consulte la justice.

A la vue d'un bien à faire, déployer toute son énergie, comme si l'on craignait de ne pouvoir y parvenir ; à la vue d'un mal à éviter, se retirer comme si l'on avait mis la main dans l'eau bouillante.


Il n'y a que deux classes d'hommes qui ne changent jamais de conduite : les plus sages et les plus insensés.

Répéter à tous les passants ce que l'on a appris de bon en chemin sans le méditer ni le mettre en pratique, c'est jeter la vertu au vent.


Le sage par excellence est celui qui embrasse toutes choses, mais pas à la fois, par ordre.

Je voudrais ne plus parler. Est-ce que le ciel parle ? Les quatre saisons suivent leur cours ; tous les êtres reçoivent l'existence. Est-ce que le ciel parle jamais ?


Extraits des Entretiens avec ses disciples


APERÇU BIOGRAPHIQUE


Confucius (Kongfusi) vécut au VIème siècle avant notre ère et compte parmi les grands sages de la Chine ancienne. On sait peu de choses sur lui sinon qu'il vécut dans l'empire des Zhou et élabora une doctrine morale en réaction contre la décadence de l'époque. Les dates qui le situent dans le temps (551-479) sont sujettes à caution et les anecdotes qui émaillent sa biographie traditionnelle, écrite par Simia Qian, trop fabuleuses pour être crues. 

Reste l'esprit du maître que l'on peut trouver essentiellement dans ses Entretiens familiers avec ses disciples : le Lun yu. Confucius y propose un modèle d'homme juste, sage : le junzi. Pour lui, la pratique humble et appliquée des vertus vraies produisent un homme au COEUR bon et généreux, et si l'on veut changer le monde et améliorer la société, c'est par là qu'il faut commencer. 

Il s'agit d'un enseignement empirique et modeste, dénué de spéculations métaphysiques comme on peut en trouver dans le taoïsme et le bouddhisme. Néanmoins, cette morale pragmatique a traversé les siècles et formé des millions d'Asiatiques (chinois, coréens, japonais, vietnamiens...) Elle a été aussi, comme toute grande source, polluée et trafiquée jusqu'à devenir un système sclérosé et une religion d'État. Mais c'est une autre histoire que nous n'aborderons pas ici.


OEUVRES


La plus sûrement authentique est le Lun yu : les Entretiens familiers. 

On lui adjoint, depuis le XIIème siècle, le Ta Hio : la Grande Étude et le Tchong Ioung : l'Invariable milieu, ainsi que le Meng Tseu : recueil de citations et commentaires de son disciple Mencius.

Malgré la destruction massive commandée en 213 par l'empereur Qin Shi Huangdi, ces textes ont pu échapper aux flammes ou en tout cas être reconstitués.


- Le livre de la Sagesse de Confucius (le Rocher - 1996).

- Maximes et pensées (le Rocher - 1998).

- Entretiens (Seuil - 1981).

- Les Entretiens de Confucius (Gallimard - 1989).

- Entretiens du maître avec ses disciples (Mille et Une Nuits - 2002).

DENYS L’AEROPAGITE

La divinité qui est au-delà de tout n'est ni monade ni triade ; ni nombre, ni unité, ni fécondité, ni rien d'autre qui appartienne aux êtres ou sont connus de ces êtres... Dieu n'est ni un, ni unité, ni divinité, ni bonté, ni esprit au sens où nous entendons ces termes ; il n'est ni fils, ni père, ni rien d'autre que nous-mêmes ou d'autres pourrions connaître.


Cette cause... n'est ni ténèbre, ni lumière, ni erreur ni vérité et d'elle on ne peut absolument rien affirmer ni nier. Lorsque nous posons des affirmations et des négations qui s'appliquent à des réalités inférieures à elle, d'elle-même nous n'affirmons ni ne nions rien, car toute affirmation reste en deçà de la Cause unique et parfaite de toutes choses, et toute négation en deçà de la transcendance de Celui qui, simple et dépouillé de tout, se situe au-delà de tout.


Les mystères simples, absolus et incorruptibles de la théologie se révèlent dans la Ténèbre plus que lumineuse du silence : c'est dans le silence en effet que l'on apprend les secrets de cette Ténèbre dont c'est trop peu dire qu'elle brille de la plus éclatante lumière au sein de la plus noire obscurité, et que, tout en demeurant elle-même parfaitement insaisissable et parfaitement invisible, elle emplit de splendeurs plus belles que la beauté les intelligences qui savent fermer les yeux.


Si la Cause universelle et bienfaisante s'exprime en beaucoup de paroles, elle n'en exclut pas moins tout raisonnement, puisqu'elle n'est ni rationnelle ni intelligible, puisqu'elle transcende toutes choses de façon suressentielle et ne se manifeste à découvert et véritablement qu'à ceux-là seuls qui vont au-delà de toute conscération rituelle et de toute purification, qui dépassent toute ascension des cimes les plus saintes, qui abandonnent toutes les lumières divines, toutes les paroles et toutes les raisons célestes pour pénétrer dans cette Ténèbre où, selon l'Écriture, Celui qui est totalement transcendant existe d'une existence absolue.


Dépassant le monde où l'on est vu et où l'on voit, Moïse pénètre dans la Ténèbre véritablement mystique de l'inconnaissance ; c'est là qu'il échappe à toute saisie et à toute vision, car il appartient tout entier à celui qui est au-delà de tout, car il ne s'appartient plus lui-même ni n'appartient à rien d'étranger, uni par le meilleur de lui-même à Celui qui échappe à toute connaissance.


Le Bien en soi ne demeure pas totalement incommunicable à tout être, car de sa propre initiative et comme il convient à sa bonté, il manifeste continûment ce rayonnement suressentiel qui demeure en lui, en illuminant chaque créature proportionnellement à ses puissances réceptives, et il entraîne les âmes saintes afin qu'elles le contemplent, qu'elles entrent en communion avec lui et finissent par lui ressembler.


Extraits des Noms divins et de la Théologie mystique 

dans : Oeuvres complètes (Aubier - 1948)

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Denys l'Aéropagite se donne lui-même comme un disciple de Paul, converti par lui à l'Aéropage d'Athènes, mais il s'agit en fait d'un auteur syrien du début du VIème siècle, très enraciné dans le néoplatonisme. Cet artifice littéraire fait que nous ne connaissons rien de sa vie.


L'OEUVRE


Son oeuvre comporte quatre traits : Les Noms divins, la Théologie mystique, la Hiérarchie céleste et la Hiérarchie ecclésiastique, qui constituent, tous quatre, une véritable somme de théologie mystique.

Une excellente traduction en a été faite par M. de Gandillac : 

Oeuvres complètes du Pseudo-Denys (Aubier-1948).

Si l'on juge un arbre à ses fruits, la mystique de Denys se révèle d'une fécondité considérable, car elle a nourri tout au long des siècles des générations de mystiques et de théologiens. En voici quelques uns pour mémoire : Au VIIème siècle : Maxime le confesseur qui l'a commenté, au VIIIème Jean Damascène, au IXème Jean-Scot Érigène qui l'a traduit en latin , au XIIème Hugues de St Victor nommé parfois "le nouvel Augustin", au XIIIème Robert Grossetête, Albert le Grand, Bonaventure et Thomas d'Aquin qui le cite autant qu'Aristote et lui emprunte la structure de sa Somme thologique, au XIVème Eckhart et Dante, au XVème Nicolas de Cuse, Au XVIème Jean de la Croix, au XVIIème Benoît de Canfeld et le cardinal de Brulle par qui il a influencé l'école mystique française jusqu'au XIXème siècle.

Plus admiré et suivi par les spirituels latins que par les grecs qui avaient déjà Origène et les Cappadociens, Denys a pourtant inspiré, au XIVème siècle, Grégoire Palamas, le grand représentant de la mystique hsychaste. Il reste aujourd'hui, au moins dans ses grandes intuitions, une référence incontournable de la mystique chrétienne.

DOGEN

Là comme ici, y a-t-il la moindre chose à quoi on puisse s'attacher ? Il n'y a que l'ignorant pour s'y attacher ; l'éveillé s'en détache. S'illusionner sur un moi qui est un non-moi, s'attacher à un produit qui est non-produit, ne pas éliminer ce qu'il faut éliminer... Quelle erreur n'est-ce pas là ?


Essayez de lâcher prise ! Lâchez donc prise pour voir ! Corps et esprit, comment sont-ils ? Leurs pratiques, comment sont-elles ? Naissance et mort, comment sont-elles ? La loi du Bouddha comment est-elle ? L'ordre du monde comment est-il ? Les montagnes, les rivières et la grande terre, les hommes, les animaux, les maisons, comment sont-ils en définitive ?


N'avez-vous pas vu des insectes minuscules et des animaux nourrir leurs petits ? En leur corps et leur coeur, ils souffrent mille difficultés ; leurs entreprises leur coûtent beaucoup d'efforts ; en fin de compte, ils élèvent leur progéniture. Pour ce qui est des parents eux-mêmes, à la fin, n'y a-t-il pas non-profit ? Si dans la compassion qui les fait se soucier de leurs enfants, ces petits êtres sont tels, cela ressemble au souci qu'ont les bouddhas pour les êtres... Et nous qui sommes enfants du Bouddha, se peut-il que nous ne suivions pas son exemple ?


Celui qui oublie un instant le moi et le mien et s'entraîne dans la retraite, devient familier avec l'esprit d'éveil.


Le Gakudôyôjin-Shû (Recueil de l'application de l'esprit à la Voie) .


Pourquoi amasser des choses inutiles ?... Les fils du Bouddha doivent n'aimer qu'une chose et abandonner tout le reste.

Il est insensé de chercher, dans un monde si hostile, à prolonger toujours une vie dont le terme est des plus incertains, de s'occuper de mille manières de son confort, et, ce qui est pire, de perdre son temps ou de comploter le mal à l'égard des autres hommes.


Le vritable aspirant à l'éveil est celui qui ne diffère en rien des hommes de ce monde et qui va, maître de ses sentiments... Intérieurement, il faut épurer son esprit de tout sentiment personnel ; extérieurement, il faut s'adapter à ses semblables.

Celui qui étudie la voie doit cesser de juger... Ce que nous pensons être bien ou ce que d'autres jugent bien, n'est pas forcément bien. Dès lors, il faut oublier le qu'en-dira-t-on, faire abstraction de ses propres pensées et aller son chemin.

Si nous rejetons entièrement les raisonnements, le savoir, si nous méditons ardemment en position assise, la voie de l'éveil s'ouvre doucement à nous. Elle se sera ouverte véritablement par le corps. C'est pourquoi je vous exhorte à prendre l'habitude de pratiquer le zazen.


Quand on voit ce qui est mal chez un homme et qu'on pense que c'est mauvais, si l'on veut le transformer avec bienveillance, on doit le faire avec des moyens qui n'excitent pas sa colère et comme si l'on parlait d'autre chose.


En cas de conflit verbal, il vaut mieux, sans réduire l'adversaire au silence, ni mettre les torts de son côté, cesser la discussion et ne rien faire. Si l'on oublie, l'adversaire aussi oubliera et ne se mettra pas en colère. 


Faire le bien à quelqu'un sans qu'il le sache, faire le bien pour l'avenir d'une personne sans penser plus tard en faveur de qui on agit, voilà le fait d'un véritable homme de bien.


Faire le bien aux autres sans espoir de récompense, sans penser à en tirer gloire, sans chercher à acquérir quoi que ce soit, aider les autres à faire leur salut, telles sont les premières conditions de renoncement à son moi.


On trouve toujours un moyen d'arriver à ses fins quand on s'applique ardemment à en trouver un... Ce qui prime tout c'est le désir de l'éveil... Celui qui a dans l'esprit un désir intense ne peut manquer de le réaliser... Si l'on a un pareil désir et que l'on pratique avec fermeté... on peut tirer à toute hauteur, pêcher à toute profondeur.


Le Shôbôgenzô zuimonki 

(Notes prises au cours de l'audition sur le Trésor de l'Oeil de la Vraie Loi).


Le temps se manifeste sans s'arrêter dans filet ni nasse... il s'agit d'un omniprésent coulement.


S'émouvoir et haïr ne sont qu'égarements hors de la voie. Accepter ce qui se prséente comme causes et conditions, c'est être libre comme l'air.


Regardez bien, maintenant, vite ! Vous avez tout ! Que voulez-vous de plus ?


Si vous comprenez cela alors le "il y a" total traversera votre corps tout entier.


La vérité de la nature-bouddha, c'est le vide éclatant de lumière.


Le vide de la vacuité, c'est le ciel immense dans un éclat de pierre.


La béatitude du samâdhi ne saurait être ni pensée ni formulée, elle est réalisation immédiate et directe... c'est le coup de gong qui fait entrer le vide en érsonance. Avant et après, ce son enchanté pénètre tout partout... Cela est incommensurable, insondable.


Le Shôbôgenzô (Trésor de l'Oeil la Vraie Loi) .

Étudier la voie, c'est se connaître,

se connaître, c'est s'oublier,

s'oublier, c'est être illuminé par toutes choses,

abandonner son corps et son esprit

et voir naître l'éveil incessant et sans trace.


Sur la barque à l'abandon

qui n'est jouet des vagues

ni proie du vent,

brille la lune,

minuit de splendeur.


Cinquante-quatre ans

à éclairer le plus haut ciel.

Sautant d'un bond,

j'ai pulvérisé les trois mondes.

Mon corps ne compte plus pour rien,

j'entre tout vif aux Sources jaunes.

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Dôgen naquit en 1200, près de Kyôto. Après avoir perdu très tôt père et mère, il se tourna vers la vie monastique et commença par fréquenter l'école Tendai. Mais, insatisfait de l'enseignement reçu, en particulier sur les rapports entre éveil originel et éveil acquis, il se mit en quête de maîtres chinois et finit par en trouver un à sa convenance, Ju-ching, qui l'amena à l'éveil. 

De retour au Japon, il fonda sa propre école (Soto), ou plutôt donna son enseignement dans la ligne de son maître qui faisait partie de l'école Tsao-Tung. En fait, il faisait peu de cas des diffrences d'écoles. Outre la direction successive de plusieurs monastères, il écrivit alors des traits importants. 

Il mourut en 1254, à l'âge de 54 ans. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des grands maîtres du Bouddhisme au Japon et l'un de ses plus grands métaphysiciens.


L'OEUVRE


Les oeuvres complètes de Dôgen ont été publiées à Tokyo par Ôkubo Dôshû en 1970. Elles comprennent 33 titres, dont seulement quelques uns ont été traduits en français.

- Le Shôbôgenzô (Trésor de l'Oeil la Vraie Loi) traduit et annoté par Eidô Shimano Rôshi et Charles Vacher (Éd. Encre marine - Vrin - 2002). Trois tomes sont parus (Busshô - Uji - Yui butsu yo butsu, Shôji). Excellente édition trilingue.

- Le Shôbôgenzô zuimonki (Notes prises au cours de l'audition sur le Térsor de l'Oeil de la Vraie Loi), traduit par G.Renondeau dans : le Bouddhisme japonais, textes fondamentaux (Albin Michel - 1965) coll. Spiritualités vivantes. 

- Le Gakudôyôjin-Shû (Recueil de l'application de l'esprit à la Voie) traduit par Hoang-Thi-Bich, et dit par le Centre de Recherches d'histoire et de philologie (Librairie Droz - 1973)

- DÔGEN, Polir la lune et labourer les nuages (Albin Michel - 1998) : Oeuvres de Dôgen présentes et traduites par Jacques Brosse.

- Jacques BROSSE, Maître Dôgen, Moine zen, philosophe et poète (Albin Michel - 1998) Coll. Spiritualités vivantes, constitue une bonne introduction à ces textes.