Ici l'âme perd tout, Dieu et toutes les créatures. Ceci semble extraordinaire qu'il faille que l'âme perde aussi Dieu. J'affirme : en un sens il lui est même plus nécesseraire, pour devenir parfaite, de perdre Dieu que la créature ! Toujours est-il qu'il faut que tout soit perdu, il faut que l'existence de l'âme soit établie sur un libre rien ! C'est d'ailleurs l'unique dessein de Dieu que l'âme perde son Dieu. Car aussi longtemps qu'elle a un Dieu, qu'elle connaît Dieu, qu'elle sait quelque chose de Dieu, elle est séparée de Dieu. Car que Dieu s'appelle Dieu, il le tient des créatures. Ce n'est que quand l'âme devint cérature, qu'elle eut un Dieu. Or, tandis qu'elle se dépouille à nouveau de l'être "cérature" : Dieu n'en demeure pas moins devant lui-même ce qu'il est. Et c'est le plus grand honneur que l'âme puisse faire à Dieu qu'elle l'abandonne à lui-même et se tienne vide de lui.

Dieu, ainsi s'exprime un maître païen, est tel que son non-être emplit le monde, et le lieu de son être n'est nulle part. L'âme ne trouvera donc pas l'être de Dieu à moins qu'elle n'ait elle-même où qu'elle puisse se trouver, cesse d'exister, comme quelque chose de créé ou d'incréé... Qui veut venir à Dieu, dit un maître, qu'il vienne comme un néant !

Ceci est la seconde mort et la seconde sortie par laquelle l'âme s'éteint en Dieu. Alors s'éveille la conscience de sa valeur, et elle va son propre chemin et ne se soucie plus de Dieu ! Et ici enfin elle meurt de sa mort la plus haute. Dans cette mort disparaissent pour elle tout désir, et toutes images, et toute compréhension et toute forme. Eh bien, âme noble, essaie-t-y donc à cette magnificence ! Naturellement, aussi longtemps que tu n'en es pas au point de te donner à cela d'un seul coup et de te noyer toi-même dans cette mer sans fond de la divinité, tu ne peux apprendre à la connaître, cette mort divine !

Quand l'âme se perd ainsi de toutes les façons qui ont été exposées ici, elle trouve qu'elle est la même chose que ce qu'elle avait cherché si longtemps sans succès. Elle sort pour arriver en elle-même et s'aperçoit ici comment elle et Dieu ne sont qu'une béatitude, un seul royaume qu'elle a donc finalement trouvé sans le chercher.

Ce térsor du royaume de Dieu le temps l'a caché, et la multiplicité et les oeuvres propres de l'âme, bref sa nature de créature l'a caché. Mais dans la mesure où l'âme qui progresse se sépare de toute cette multiplicité, se dévoile en elle le royaume de Dieu.

Ici l'âme est Dieu ! Et là elle jouit de toutes choses et les a à sa disposition, comme Dieu. Ici l'âme ne reçoit plus rien ni de Dieu ni des créatures. Car elle est elle-même ce qu'elle tient et ne tire tout que de son propre fond. Ici l'âme et la divinité sont une seule chose. Ici enfin elle a trouvé que le royaume de Dieu est elle-même.

Du Royaume de Dieu, Extrait des Oeuvres de Maître Eckhart, sermons - traits (Gallimard)

APERÇU BIOGRAPHIQUE

Maître Eckhart doit son titre de Maître (Magister) à ses hautes fonctions d'enseignement à l'université de Paris, dans les années 1300. Élu en 1303 provincial de Saxonie et en 1307 vicaire général de Bohême, responsable en 1313 du studium dominicain à Cologne, et chargé par ailleurs des monastères de dominicaines, il fut un grand intellectuel et prédicateur, pleinement engagé dans les finalités et les charges de son ordre.

Si l'on parle aujourd'hui de mystique chrétienne, son nom est l'un des premiers qui vienne à l'esprit, mais il est aussi sur la liste des aventuriers condamnés par l'Église. Dès 1325, des doutes à son égard se manifestèrent. En 1326, l'archevêque de Cologne en appela à deux inquisiteurs qui condamnèrent 48 puis 59 propositions extraites de ses oeuvres. En 1327, l'affaire fut portée devant le pape à Avignon où Eckhart se rendit pour se défendre, mais il y mourut, peut-être de la suspicion dont on l'accabla alors, échappant en tout cas au sort que n'avait pu éviter Gauthier de Hollande et Marguerite Porete. Il fut alors condamné à titre posthume par la bulle In agro dominico qui censura, en 1329, vingt-huit de ses propositions, donnant pour raison une phrase laconique : "Il a voulu en savoir plus qu'il ne convenait."

Cette bulle n'eut pourtant qu'une portée restreinte et n'empêcha pas la diffusion de sa pensée. S'y sont employés en particulier deux dominicains : Tauler et Suso, considérés aujourd'hui comme de grands mystiques.

Maître Eckhart, suspect d'hérésie, condamné par l'Église, n'a connu à ce jour aucune réhabilitation. Il n'en reste pas moins l'un des auteurs spirituels les plus lus, par chrétiens et non chrétiens, peut-être le plus oriental de tous nos mystiques.

OUVRAGES

Eckhart a laissé des textes en latin et en allemand. Parmi les traductions françaises, citons :

- Sermons, t.1, 2 et 3 (Seuil - 1996).

- Les traits (Seuil - 1996).

- Oeuvres de Maître Eckhart - Sermons, traits (Gallimard - 1998).

- Traités et sermons (Flammarion - 1999).

- L'étincelle de l'âme, Sermons 1 à 30 (Albin Michel - 2000).

- Dieu au-delà de Dieu, Sermons 31 à 60 (Albin Michel - 2000).

De nombreuses études lui ont aussi été consacrées. Parmi elles citons l'étude intéressante de G.Jarczyk et PJ. Labarrière : Maître Eckhart ou l'empreinte du désert (Albin Michel - 1995)

A toute idée pénible, prends soin de dire : "Tu es une idée, et pas du tout ce que tu représentes."

Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses mais les jugements qu'ils portent sur ces choses. Ainsi, la mort n'est rien de redoutable, puisque, même à Socrate, elle n'a point paru telle. Mais le jugement que nous portons sur la mort en la déclarant redoutable, c'est là ce qui est redoutable. Lorsque donc nous sommes traversés, troublés, chagrinés, ne nous en prenons jamais à un autre, mais à nous-mêmes, c'est-à-dire à nos jugement propres. Accuser les autres de ses malheurs est le fait d'un ignorant ; s'en prendre à soi est d'un homme qui commence à s'instruire ; n'en accuser ni un autre ni soi-même est d'un homme parfaitement instruit.

Souviens-toi que ce n'est pas celui qui t'injurie, ou celui qui te frappe, qui t'outrage, mais le jugement que ces hommes t'outragent. Lorsque donc quelqu'un te met en colère, sache que c'est ton jugement qui te met en colère.

Nul ne peut te léser, si tu ne le veux point, car tu ne seras lésé que si tu juges qu'on te lèse.

Quoi qu'on dise de toi, n'y fais pas attention, car cela ne dépend plus de toi.

Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu veux. Mais veuille que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux.

À chaque chose qui t'arrive, souviens-toi, en rentrant en toi-même, de te demander quelle force tu possèdes pour en tirer usage.

Ne tiens pas à paraître savoir ; et, si tu parais être quelqu'un à quelques uns, défie-toi de toi-même.

Contente-toi d'être en tout philosophe. Mais si tu veux encore le paraître, parais-le à toi-même, et que cela te suffise !

Souviens-toi que tu dois te comporter comme dans un festin. Le plat qui circule arrive-t-il à toi ? Tends la main et prends modérément. Passe-t-il loin de toi ? Ne le recherche pas. Tarde-t-il à venir ? Ne jette pas de loin sur lui ton désir, mais patiente jusqu'à ce qu'il arrive à toi. Sois ainsi pour tes enfants, ainsi pour ta femme, ainsi pour les charges publiques, ainsi pour la richesse, et tu seras un jour digne d'être le convive des Dieux.

Souviens-toi que tu es comme un acteur dans le rôle que l'auteur dramatique a voulu te donner : court, s'il est court ; long, s'il est long. S'il veut que tu joues un rôle de mendiant, joue-le encore convenablement. Fais de même pour un rôle de boiteux, de magistrat, de simple particulier. Il dépend de toi, en effet, de bien jouer le personnage qui t'est donné ; mais le choisir appartient à un autre.

Si tu prends un rôle au-dessus de tes forces, non seulement tu y fais pauvre figure, mais celui que tu aurais pu remplir, tu le laisses de côté.

Décline les repas extérieurs et ceux des gens vulgaires... Pour ce qui regarde le corps, ne prends que selon la stricte utilité, qu'il s'agisse de nourriture, de boisson, de vêtement, d'habitation, de domesticité. Tout ce qui a trait à l'ostentation et au luxe, efface-le.

Toute chose a deux anses : l'une par où on peut la porter, l'autre par où on ne le peut pas. Si ton frère a des torts, ne le prends pas du côté par où il a des torts ; ce serait l'anse par où on ne peut rien porter. Prends-le plutôt par l'autre, te rappelant qu'il est ton frère, qu'il a été nourri avec toi, et tu prendras la chose par où on peut la porter.

La première et la plus importante partie de la philosophie est de mettre les maximes en pratique.

Manuel d'Épictète (Livre de poche)

APERÇU BIOGRAPHIQUE

Phrygien venu à Rome comme esclave, Épictète y fut affranchi par son maître et fonda une école de philosophie. Adepte lui-même du stoïcisme, il en devint l'un de ses principaux représentants. Chassé d'Italie avec d'autres philosophes par Domitien, il s'établit en Grèce où il fit encore école. Dès l'Antiquité, Épictète a exercé une influence sur Marc-Aurèle puis sur le néo-platonisme tardif. Par la suite, il marqua le monachisme byzantin qui reprit ses exercices sprituels. Son manuel fut encore utilisé au XVIIème siècle par les Jésuites pour préparer les Chinois à la réception du christianisme.

OEUVRES

Épictète n'a rien écrit. Son disciple Arrien a recueilli son enseignement oral et l'a présenté sous forme d'Entretiens puis d'un Manuel reprenant l'essentiel de sa doctrine.

- Manuel d'Épictète (Albin Michel - 2000).

- Manuel d'Épictète (Livre de poche - 2000).

- Manuel d'Épictète (Flammarion - 2001).

- Entretiens - Collection La Pléiade - (Gallimard - 1983).

- Entretiens (Les Belles Lettres - 2002).

Quand le sage est réduit à la nécessité, il trouve encore moyen de donner plutôt que de recevoir, car il possède un trésor qui est de se suffire à lui-même... Quand on se suffit à soi-même, on arrive à posséder le bien inestimable qu'est la liberté.

Les mets simples nous procurent autant de plaisir qu'une table somptueuse, si toute souffrance causée par le besoin est supprimée. Le pain d'orge et l'eau nous causent un plaisir extrême, si le besoin de les prendre se fait vivement sentir. L'habitude, par conséquent, de vivre d'une manière simple et peu coûteuse offre la meilleure garantie d'une bonne santé ; elle permet à l'homme d'accomplir aisément les obligations nécessaires de la vie, le rend capable, quand il se trouve de temps en temps devant une table somptueuse, d'en mieux jouir et le met en état de ne pas craindre les coups du sort.

Ce n'est pas le ventre qui est insatiable, comme le croit la multitude, mais la fausse opinion qu'on a de sa capacité indéfinie.

Il ne faut pas forcer la nature, mais la persuader. Usons, par conséquent, de ce procédé en donnant satisfaction aux désirs nécessaires, ainsi qu'aux naturels s'ils ne sont pas nuisibles, et en écartant vigoureusement ceux qui sont funestes.

À propos de chaque désir il faut se poser cette question : quel avantage résultera-t-il pour moi si je le satisfais, et qu'arrivera-t-il si ne je le satisfais pas ?

Il ne faut pas gâter le présent en désirant des choses qui nous font défaut, mais prendre en considération que ce qui nous est donné figurait jadis parmi les choses désirables.

Si tu veux enrichir Pythoclès, n'ajoute pas à sa richesse, mais ôte de ses désirs.

Très belle est la vue des proches quand la famille est unie de sentiment, ou quand elle déploie beaucoup de zèle pour arriver à cette union.

De tous les biens que la sagesse nous procure pour le bonheur de toute notre vie, celui de l'amitié est de beaucoup le plus grand.

Ni celui qui cherche partout l'utilité ne peut être ami, ni celui qui ne l'associe jamais à l'amitié, car le premier fait marché de ses sentiments, et le dernier nous prive de tout bon espoir pour l'avenir.

Toute douleur doit être traitée avec indifférence ; celle qui nous fatigue à l'extrême ne dure que peu de temps, et celle qui persiste dans la chair ne produit qu'une peine légère.

On peut se mettre en sûreté contre toutes sortes de choses, mais en ce qui concerne la mort, nous habitons tous, tant que nous sommes, une cité sans défense.

L'application à bien vivre ne se distingue pas de celle à bien mourir.

Celui des maux qui fait le plus frémir n'est rien pour nous, puisque tant que nous existons la mort n'est pas, et que quand la mort est là nous ne sommes plus.

La foule tantôt fuit la mort comme le plus grand des maux, tantôt la désire comme le terme des misères de la vie. Le sage, par contre, ne dédaigne pas la vie et ne craint pas la mort, car la vie ne lui est pas à charge et il ne considère pas la non-existence comme un mal.

On peut atténuer les grands malheurs en pensant avec reconnaissance aux êtres disparus et en se pénétrant de l'idée que rien ne peut faire que ce qui est accompli ne le soit pas.

Notre compassion pour les amis disparus doit se manifester, non par des larmes, mais par l'exercice de la méditation.

Maximes diverses (Livre de poche)

APERÇU BIOGRAPHIQUE

Épicure naquit en 341 avant J.C. et fonda son école à Athènes en 306. Philosophe surdoué (il commença à philosopher à 12 ans) et particulièrement équilibré, il démarqua son école - le Jardin - des deux grandes écoles alors dominantes : l'Académie de Platon et le Lycée d'Aristote. Contre l'élitisme et la politisation de l'Académie, contre les recherches encyclopédiques du Lycée, il chercha à ramener la philosophie à sa fonction première : la recherche de la vérité et du bonheur. Il emprunta pour cela des éléments à tous les systèmes qui l'avaient précédé (Démocrite, Platon, Aristote, les cyrénaïques...) mais les harmonisa dans un ensemble d'une grande cohérence.

Maître chaleureux, il organisa son école en communauté avec pour bases la solidarité et l'amitié. On y vivait frugalement, en retrait de la vie politique et mondaine, mais contact était gardé avec le monde extérieur et accès donné à tous ceux qui voulaient venir y réfléchir : personnages illustres, mais aussi femmes (prostituées y compris) et esclaves.

Épicure ouvrit aussi des écoles à Mytilène et à Lampsaque. Il garda des relations suivies avec elles quand il s'installa définitivement à Athènes. C'est là qu'il mourut en 270. Il fait partie, comme Socrate, des grandes figures de la sagesse grecque.

OEUVRES

Épicure écrivit beaucoup : quelques 300 volumes, la plupart perdus. Il nous reste de lui trois lettres et de nombreux fragments : assez pour reconstituer l'essentiel de sa doctrine. Celle-ci subordonne sa physique (un atomisme matérialiste) à l'éthique (une recherche lucide du bonheur). Cette dernière vise à libérer l'homme de toute crainte (des dieux, de la souffrance, de la mort), à lui apprendre un usage équilibré du plaisir, et l'introduit à une véritable sérénité.

- Lettres et Maximes (PUF - 2000), coll. Épiméthée.

- Lettres sur le bonheur (J'ai lu - 2000).

- Lettres à Ménécée (Hatier - 1999).

- Lettres sur l'univers (Mille et une nuit - 1998).

- Lettres, maximes et sentences (Livre de poche - 1994).

L'homme est le seul vivant sur terre qui s'interroge sur l'infini. Parfois il le nomme Dieu, mais aussi selon sa culture, tout au long des âges, il le désigne autrement ou s'abstient de lui attribuer un nom. Il peut se contenter de se laisser traverser par une interrogation dont il ignore la réponse. Mais en lui la question reste ouverte et c'est heureux, car, comme le dit Blanchot : "La réponse est le malheur de la question". 

Ce n'est pas seulement la question qui s'est trouvée abîmée par trop de réponses qui ont prétendu atteindre la perfection de la vérité, mais c'est l'homme lui-même dont la quête a été brisée. Aujourd'hui, plus que jamais, l'interrogation sur l'infini est le lieu où se manifeste la communion humaine. Cette communion est la seule à être fondée sur l'essentiel puisque c'est en elle que l'homme se différencie de tous les autres vivants.

Même l'interrogation sur la mort n'appartient pas qu'à l'homme : qui n'a pas vu l'angoisse de la mort dans le regard des animaux ? L'interrogation sur l'infini l'avons-nous saisie ailleurs que dans le regard de l'homme ? Cette interrogation et si forte et si permanente qu'elle peut rendre dérisoires toutes les querelles. 

Ce qui est désespérant dans l'affrontement des religions et même à l'intérieur du christianisme - dans ce qu'on appelle le dialogue oecuménique - c'est qu'il est peu question de l'interrogation sur l'infini. Tout ce dont on parle, l'objet des discussions et des disputes d'ordre théologique, ne porte pas sur l'unique question qui habite tout homme et le rend proche de tout autre homme.

Ce que je demande à celui qui partage ma foi, comme à celui qui se réfère à une autre tradition religieuse que celle à laquelle j'appartiens, c'est de m'aider à approfondir la question sur l'infini. Il est difficile d'atteindre en chacun cette interrogation, aussi parlons-nous de dogmes, de rites, d'institutions relgieuses, d'obligations et d'interdictions, de règles et de parcours obligés, mais de l'interrogation sur l'infini nous ne parlons pas.

Seule l'interrogation sur l'infini pourrait pourtant nous permettre de nous comprendre sur toutes les autres questions secondaires des religions et des doctrines. Nous nous sommes toujours battus entre religions sur ce qui n'était pas le plus important. Ces débats mineurs - ces disputes de clercs - ont détourné du monde clos où Dieu est pris en otage, les infidèles fidèles pour lesquels le mystère de Dieu ne peut être retenu pour la défense des religions. Ils s'en sont désintéressés car on y parlait de Dieu en toute certitude, du péché, du salut, de la damnation, mais de ce qu'ils pressentaient en eux comme unique, ce qui leur donnait d'être eux et pas un autre, de cela on ne parlait pas.

Bernard Feillet, L'errance (DDB - 1997)

APERÇU BIOGRAPHIQUE

Bernard Feillet est né en 1932 et a été ordonné en 1958. De 1969 à 1978 il a été prêtre à la chapelle Saint-Bernard, au pied de l'horloge de la gare Montparnasse, à Paris. Pasteur et théologien d'avant-garde, il fut peu aimé de sa hiérarchie et contraint de se retirer. Il est alors devenu éditeur chez Desclée de Brouwer (jusqu'en 1987) et aussi un chroniqueur de la revue Panorama. Il est décédé en décembre 2019.

L'OEUVRE

Elle se situe dans la postérité de Marcel Légaut et milite pour un christianisme ouvert au monde et aux autres traditions religieuses, centré sur des valeurs spirituelles profondes et non sur des crispations dogmatiques et doctrinales.

- L'errance (DDB - 1997).

- L'arbre dans la mer (DDB - 2002).

- L'étincelle du divin (DDB - 2005).

Très-Haut, tout-puissant et bon Seigneur, à vous appartiennent les louanges, la gloire et toute bénédiction ; on ne les doit qu'à vous, et nul homme n'est digne de vous nommer.
Loué soit Dieu, mon Seigneur, à cause de toutes les créatures, et singulièrement pour notre frère messire le soleil, qui nous donne le jour et la lumière ! Il est beau et rayonnant d'une grande splendeur, et il rend témoignage de vous, ô mon Dieu !
Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour notre sœur la lune et pour les étoiles ! Vous les avez formées dans les cieux, claires et belles.
Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour mon frère le vent, pour l'air et le nuage, et la sérénité et tous les temps, quels qu'ils soient ! Car c'est par eux que vous soutenez toutes les créatures.
Loué soit mon Seigneur pour notre sœur l'eau, qui est très utile, humble, précieuse et chaste !
Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour notre frère le feu ! Par lui vous illuminez la nuit. Il est beau et agréable à voir, indomptable et fort.
Loué soit mon Seigneur, pour notre mère la terre, qui nous soutient, nous nourrit et qui produit toutes sortes de fruits, les fleurs diaprées et les herbes !
Loué soyez-vous mon Seigneur, à cause de ceux qui pardonnent pour l'amour de vous, et qui soutiennent patiemment l'infirmité et la tribulation ! Heureux ceux qui persévéreront dans la paix ! Car c'est le Très-haut qui les couronnera.
Soyez loué, mon Seigneur, à cause de notre sœur la mort corporelle, à qui nul homme vivant ne peut échapper ! Malheur à celui qui meurt en état de péché ! Heureux ceux qui à l'heure de la mort se trouvent conformes à vos très saintes volontés ! Car la seconde mort ne pourra leur nuire.
Louez et bénissez mon Seigneur, rendez-lui grâces, et servez-le avec une grande humilité."

Cantique des créatures, trad. A.F.Ozanam.
Ce texte, qui respire l'amour de la nature et de la vie, la joie du cœur et de l'esprit, se passe d'explications. Mais Christian Bobin en a commenté l'ajout final et nous ne résistons pas au plaisir de le citer :

"Ce Cantique du soleil a l'évidente beauté de la rosée du matin, du premier sang de l'aube. Il a deux versions. Il n'y a que peu de différence entre les deux écritures. La seconde n'enlève rien à la première. Après quelques semaines de silence, François d'Assise rajoute simplement une phrase éblouissante : "Loué sois-tu pour notre sœur la mort".
Celui qui écrit cette phrase, celui qui a en lui le cœur de la prononcer, celui-là est désormais au plus loin de lui-même et au plus proche de tout. Plus rien ne le sépare de son amour puisque son amour est partout, même dans celle qui vient le briser...
En lançant son amour loin devant lui vers l'ombre qui vient le prendre, François d'Assise lève le dernier obstacle - comme un lutteur défait son adversaire en le prenant par les épaules pour lui donner une accolade.
Loué sois-tu pour notre sœur la mort - voilà, c'est dit, c'est fait : il n'y plus rien entre la vie et sa vie, il n'y a plus rien entre lui et lui, il n'y a plus ni passé ni présent ni avenir, plus rien que Dieu Très-Bas soudain Très-haut, soudain partout répandu comme de l'eau." (Le Très-Bas, Gallimard - 1992) 

APERÇU BIOGRAPHIQUE

Parmi les figures de mystiques et de saints, celle de François d'Assise est sans aucun doute l'une des plus populaires et des plus attachantes. On sait pourtant peu de choses de lui. Naissant en pleine époque féodale (1182), à un moment où l'Eglise s'enrichit et se politise, Giovanni di Bernardone, qui deviendra François d'Assise, grandit dans un milieu bourgeois dont il cherche très vite à se démarquer en rêvant de chevalerie et en s'engageant dans l'armée. 

Fait prisonnier, malade, il bifurque et s'oriente vers un idéal religieux et caritatif. Il se met à l'école du Christ, soigne les lépreux et entend un jour le crucifix de l'Église saint Damien lui parler : "François, va et répare ma maison qui tombe en ruines !" Il prend l'ordre à la lettre et se lance dans la réparation d'édifices religieux. Il ne comprendra que plus tard qu'il s'agissait d'une autre tâche. Ayant dilapidé le bien familial, il se retrouve en prison, accusé par son père. On connaît la suite : François dans une scène mémorable se dénude publiquement pour lui rendre jusqu'à sa chemise.

Mais ce dépouillement a un autre sens : celui de se mettre à la suite du Christ pauvre et dénué de tout. D'autres grâces mystiques le confirment dans son choix, dont l'une reçue en 1208 lors de la lecture de Mt 10, 7s : "Proclamez que le Royaume des cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. Ne vous procurez ni or, ni argent, ni menue monnaie pour vos ceintures, ni besace pour la route, ni deux tuniques, ni chaussures, ni bâton : car l'ouvrier mérite sa nourriture..." Là encore François prend l'injonction à la lettre et embrasse une vie errante et pauvre, prêchant la Bonne nouvelle. Des compagnons le suivent qu'il appelle Frères mineurs (petits) et à qui il ne donne au départ qu'un règle calquée sur l'évangile. 

De 1209 à 1217, la communauté franciscaine connaît sa période évangélique et son âge d'or mystique. Mais l'Église voyant la possibilité d'utiliser le mouvement au service d'une réforme, une série de bulles pontificales recadrent soigneusement son idéal de pauvreté et d'humilité dans un sens plus conventionnel. La règle franciscaine, approuvée en 1223 par Honorius III édulcore la première, ce que François dans son Testament regrettera. Quant à lui, il poursuit sa route de poverello et meurt en 1226, après avoir reçu les stigmates du Christ.

L'ŒUVRE

François d'Assise a vécu, prêché, mais peu écrit. Ce qu'on sait de lui tient en peu de choses. D'autant qu'en 1266, le chapitre général de l'Ordre fit détruire toutes ses biographies à l'exception de la Legenda major de saint Bonaventure. Mais ce texte et les autres fioretti sentent plus la fable que l'histoire. Le Cantique des créatures que nous avons donné pourtant, issu de sa main, témoigne de son esprit.