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chez Alain Delaye

A L’ÉCOUTE DES SAGES

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KHALIL GIBRAN

Alors Almitra dit : Parlez-nous de l'Amour. Le Prophète dit :

Quand l'amour vous fait signe, suivez-le, 

bien que ses voies soient dures et escarpées.

Et lorsque ses ailes vous enveloppent, cédez-lui,

bien que l'épée cachée dans son pennage puisse vous blesser.

Et lorsqu'il vous parle, croyez en lui, malgré que sa voix puisse briser vos rêves comme le vent du nord saccage vos jardins.

Car de même que l'amour vous couronne, il doit vous crucifier. 

De même qu'il est pour votre croissance, il est aussi pour votre élagage.

De même qu'il s'élève à votre hauteur et caresse vos branches les plus légères qui tremblent dans le soleil, ainsi pénétrera-t-il jusques à vos racines et les secouera dans leur attachement à la terre...

Ne pensez pas que vous pouvez guider le cours de l'amour, car l'amour, s'il vous trouve dignes, dirigera votre cours.

Toutes ces choses, l'amour vous les fera pour que vous puissiez connaître les secrets de votre coeur et devenir, en cette connaissance, un fragment du coeur de la Vie...

L'amour n'a point d'autre désir que de s'accomplir.

Il ne donne que de lui-même et ne prend que de lui-même.

L'amour ne possède pas, et ne veut pas être possédé, 

car l'amour suffit à l'amour.


Une femme qui portait un enfant dans les bras dit : parlez-nous des enfants. 

Et il dit :

Vos enfants ne sont pas vos enfants. 

Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même.

Ils viennent à travers vous mais non de vous.

Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,

car ils ont leurs propres pensées.

Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes, 

car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, 

pas même dans vos rêves.

Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous.

Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier.

Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes sont projetés.

L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et il vous tend de sa puissance pour que ses flèches puissent voler vite et loin.

Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie,

car de même qu'il aime la flèche qui vole, il aime l'arc qui est stable.


Alors un professeur dit : parlez-nous d'enseignement. Et le prophète dit :

Aucun homme ne peut rien vous révéler sinon ce qui repose déjà à demi endormi dans l'aube de votre connaissance.

Le maître qui marche à l'ombre du temple, parmi ses disciples, ne donne pas de sa sagesse mais plutôt de sa foi et de son amour.

S'il est vraiment sage, il ne vous invite pas à entrer dans la maison de sa sagesse, mais vous conduit plutôt au seuil de votre propre esprit...

Car la vision d'un homme ne prête pas ses ailes à un autre homme.

Et de même que chacun de vous se tient seul dans la connaissance de Dieu, de même chacun de vous doit être seul dans sa compréhension de la terre.


Extraits du livre : Le Prophète (Ed. Casterman).

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Khalil Gibran est un écrivain libanais d'origine chrétienne. Né en 1883 à Bécharré, il émigre avec sa mère en 1894 à Boston, puis retourne seul à Beyrouth, en 1897, où il fait ses études à l'Ecole de la Sagesse. 

En 1901 il visite la Grèce, l'Italie, l'Espagne, puis s'installe en France, à Paris, pour étudier la peinture. C'est alors qu'il écrit Les Esprits Rebelles. Le livre est brûlé sur la place publique de Beyrouth, par ordre des autorités turques, et condamné comme hérétique par l'évêque maronite.

En 1903, il est appelé au chevet de sa mère mourante, restée en Amérique. II se fixe alors à Boston, où il s'exerce principalement à la peinture. En 1908, il retourne à Paris, où il travaille à l'Académie Julian et à l'Ecole des Beaux-Arts ; il fréquente alors Rodin, Debussy, Maeterlinck, Edmond Rostand...

En 1910, il s'installe définitivement à New York où il se consacre à la peinture et à la poésie. C'est dans cette ville qu'il meurt en 1931, à l'âge de 34 ans. Son corps est ramené au Liban, où il repose dans la crypte du Monastère de Mar Sarkis, à Bécharré.


L'oeuvre


Khalil Gibran fut un des pionniers du réveil des lettres arabes à la fin du XIXème siècle, mais aussi un remarquable artisan de la langue anglaise. Il a écrit lui-même en anglais la plupart des OEUVRES qu'il avait écrites en arabe. Si les versions anglaises furent bien accueillies par les milieux littéraires, c'est la publication du Prophète en 1923, qui lui assura une notoriété internationale.

Ce livre est son chef-d'OEUVRE. Il en avait rédigé une première version en arabe à l'âge de quinze ans. Deux fois dans la suite, il l'a remanié et augmenté. C'est après la troisième version en arabe qu'il en a écrit le texte anglais, texte qu'il devait retravailler encore quatre fois avant de le faire imprimer parce que, disait-il, "je voulais être tout à fait sûr que chaque mot fût vraiment le meilleur que j'eusse à offrir". 


- Le Prophète (Casterman - 1975).

- Le Prophète (Le Chêne - 1994).

- Le Prophète (Actes Sud - 2001).

- Les secrets du coeur (De Mortagne - 1990).

- L'envol de l'esprit (De Mortagne - 1990).

- Jésus, fils de l'homme (De Mortagne - 1990).

GRÉGOIRE DE NYSSE

Notre refuge le plus sûr est de ne pas nous méconnaître nous-mêmes... Aucune chose fluctuante n'est nous.


Si nous n'arrivons pas à connaître la nature de notre esprit, c'est parce qu'il possède en lui l'exacte ressemblance avec celui qui le domine et qu'il porte l'empreinte de la nature insaisissable par le mystère qui est en lui.


La connaissance de Dieu consiste à ne former aucune idée de lui à partir d'un mode humain de connaissance.


Celui qui pense que Dieu est quelque chose de déterminé, passe à côté de Celui qui est l'Etre par essence. 


La Vie véritable, c'est Celui qui est par essence.

Le désir ne monte pas de l'homme, il est causé par cette affinité avec la nature divine que Dieu a déposée en nous. C'est donc Dieu qui de cette façon nous attire à lui.


Si le beau, en soi, est infini, nécessairement le désir de celui qui aspire à y participer sera coextensif à l'infini et ne connaîtra pas de repos.


Plus quelqu'un s'affermit dans le bien et s'immobilise en lui, plus son vol devient rapide : le repos même lui sert d'aile.


L'âme attachée à l'époux incorruptible, possède l'amour de la vraie sagesse qui est Dieu.


Dans l'union au Verbe de Dieu, l'homme de mortel devient immortel : de périssable impérissable, d'éphémère éternel et, pour dire le mot, d'homme, il devient Dieu.


La vue de sa face, c'est la marche incessante vers lui... La véritable vision de Dieu réside en ceci que celui qui lève les yeux vers Lui ne cesse jamais de Le désirer. C'est réellement voir Dieu que de ne jamais trouver satiété à ce désir.

Quand l'âme, pour autant qu'elle le peut, est entrée en partage de ses biens, la parole l'attire à nouveau à la participation de sa transcendante beauté par un nouveau renoncement, comme si elle n'avait eu aucune part à ces biens. 

Ainsi à cause de la transcendance des biens qu'elle découvre toujours à mesure qu'elle progresse, il lui semble toujours n'en être qu'au début de l'ascension. C'est pourquoi la parole répète : "Lève-toi !" à celle qui est déjà levée, "Viens !" à celle qui est déjà venue. 

A celui qui se lève vraiment, il faudra toujours se lever ; à celui qui court vers le Seigneur, ne manquera jamais un vaste espace. Ainsi, celui qui monte ne s'arrête jamais, allant de commencement en commencement par des commencements qui n'ont jamais de fin.


Extraits de plusieurs ouvrages, entre autres sa Vie de Moïse (Le Cerf) 

et son Commentaire du Cantique des Cantiques

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Né en 335, à Césarée, en Cappadoce, dans une famille chrétienne, Grégoire a reçu une éducation et une instruction des plus performantes. Ayant embrassé la carrière de rhéteur, il s'est alors marié et ne l'a jamais regretté. Cela ne l'a pas empêché de devenir évêque, de mener, devenu veuf, une vie monastique et de faire l'éloge de la virginité.

Bien qu'il se trouvât impliqué, par son frère Basile, dans les affaires ecclésiastiques, Grégoire n'y réussit guère et, devenu évêque de Nysse, n'y demeura pas très longtemps. C'est comme théologien qu'il se réalisa. 

Moine érudit, penseur à la vision ample, et mystique de haut vol, il est sans aucun doute l'esprit le plus profond des trois Cappadociens (les deux autes étant Basile de Césarée et Grégoire de Nazianze). Longtemps dans l'ombre à cause de la célébrité de son frère, il finit par être reconnu comme un des plus grands théologiens de son temps.


L'OEUVRE


Plus que son frère dont il loue pourtant le savoir et plus que son ami Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse a étudié Platon, Plotin, Philon et de nombreux autres philosophes et auteurs classiques, au premier chef Origène. Ces influences se retrouvent dans son oeuvre. 

- Vie de Moïse (Cerf - 2000), coll. Sources chrétiennes.

HAKUIN

L'exercice de la contemplation intérieure est de première importance. Ne l'abandonnez pas. C'est le secret essentiel pour nourrir la vie.


Chacun est pourvu de la sagesse et de la vertu de l'Ainsi-Venu. Chacun possède complètement, sans aucun manque, la Gemme de la Bouddhéité, chacun irradie pour toujours une grande lumière et chacun habite dans le Temple pur de la lumière apaisée.


Ne vous plaignez pas de manquer de temps pour la recherche du Zen à cause d'une quantité d'affaires poussiéreuses et ne dites pas que maintenir la conscience authentique est difficile à cause des affaires mondaines. Dans la recherche authentique du Zen, il n'y a ni affaires poussiéreuse ni affaires mondaines.


Faites de tout un objet de méditation (de kôan) et avancez d'un seul coup sans recul.


La recherche ne doit pas se faire seulement en restant immobile, mais aussi dans la mobilité, sans interruption.


Si les seigneurs pratiquent ce maintien de la conscience authentique au cours de leurs préoccupations dans le domaine des affaires de l'État, les samouraïs au cours du tir à l'art, de l'équitation, de la calligraphie et du calcul, les paysans au cours de leurs travaux agraires à la charrue et à la pioche, les artisans au cours de l'arpentage et de leurs coupes à la hache, les femmes au cours de filage et du tissage, tous sont directement dans la grande concentration du Zen atteinte par les saints.


Mais si on n'a pas le maintien de la conscience authentique, on sera tel un vieux blaireau qui dort dans un trou nu.


Entrer dans le Principe, voir la Voie, là est la véritable question. Il n'y a que ça. Qui se préoccupera alors que vous soyez laïc ou moine ? en ville, en montagne ou en forêt ? L'essentiel est de pratiquer simplement, de façon unie, sans mélange, que vous soyez en mouvement ou immobile, au milieu de circonstances contraires ou favorables, que vous soyez debout ou couché. Alors la vérité de votre unité apparaîtra. Et même si vous êtes au milieu de mille ou dix mille personnes, vous vous sentirez comme si vous étiez seul dans un vaste champ.


Au cours des occupations poussiéreuses, des affaires mondaines compliquées et de multiples bouleversements, maintenez sans cesse la conscience authentique et prenez courage, même si vous n'avez aucune prise. De temps en temps, vous aurez l'impression que votre corps et votre esprit disparaissent, que c'est le vide de tous côtés. N'ayez pas peur, faites l'effort d'avancer. Alors l'acquisition précaire de force vous amènera bientôt à l'Ouverture subite.


Orate Gama

BIOGRAPHIE


Hakuin (1686-1769) est l'un des grands maîtres du bouddhisme japonais. Né dans une famille de samouraïs, il contribua, devenu moine, à la rénovation du Zen rinzaï. Après un séjour en ermitage, il vint restaurer le petit temple de son village natal : le Shöin-ji, au pied du mont Fuji. Là, des disciples vinrent s'établir auprès de lui. Il rayonna aussi par les conseils qu'il donna à ceux qui, suite à la lecture de ses ouvrages, vinrent le consulter.


Son aspect physique était impressionnant, rude et puissant, et il savait l'utiliser à l'occasion, mais il était par ailleurs généreux, compréhensif et très aimé de ses disciples. Outre un moine austère qui restaura la pratique méditative des kôans, Hakuin était un peintre et un calligraphe de talent qui produisit des oeuvres pleines de vie et d'humour. Certains autoportraits où il se caricature lui-même sont célèbres.


Pour Hakuin, le nirvâna n'est pas à chercher dans un au-delà ou un futur. Dès lors que l'on médite vraiment, il est immédiat, et tout les êtres sensibles peuvent le connaître, étant par nature des bouddhas.


OEUVRES


L'ouvrage principal de Hakuin est l' Orate Gama , traduit par M.Shibata en deux tomes :


- Moi, bouilloire à portée de mains (L'Originel - 1991).

- Lâcher les mains au bord du précipice (L'Originel - 1996).

- KAZUAKI TANAHASHI, Rien qu'un sac de peau. Le zen et l'art de Hakuin (Albin Michel - 1987)

HÉRACLITE

Que ceux qui ont écouté, non moi, mais le logos, 

conviennent que tout est un.

- La multitude des gens ne pensent pas les choses telles qu'ils les rencontrent. Même instruits d'elles, ils ne les connaissent qu'en apparence.

- Alors que la parole vraie est universelle, 

les hommes ne pensent que de manière particulière.

- Il y a pour les éveillés un monde unique et commun, 

mais chacun des endormis se détourne dans un monde particulier.

- Il ne faut pas agir et parler comme en dormant.

- Il ne faut pas agir et parler comme les enfants de nos parents.

- Jouets d'enfants, les opinions humaines.

- Le plus savant des hommes, par rapport à Dieu, 

est comme un singe pour le sage.

- Le grand savoir n'enseigne pas l'intelligence, sinon il l'aurait enseigné à Hésiode, à Pythagore, et encore à Xénophane et à Hécatée.

- La multitude a pris le savant Hésiode pour maître, lui qui ne connaissait même pas l'unité du jour et de la nuit.

- Pythagore, grand enquêteur plus que tout autre, s'est bâti une sagesse de son crû : compilation savante, art trompeur.

- Les meilleurs prennent une seule chose en échange de toutes, 

la gloire impérissable en échange des choses mortelles, 

mais la multitude se repaît comme du bétail.

- Un vaut pour moi dix mille, s'il est le meilleur.

- Le maître dont l'oracle est à Delphes ne dit ni ne cache, il fait signe.

- Mages, bachants, bacchantes, initiés, sont des errants dans la nuit.

- Pour les hommes, que se produise tout ce qu'ils souhaitent n'est pas mieux.

- Il faut éteindre la démesure plus encore que l'incendie.

- Il faut que le peuple combatte pour sa loi comme pour un rempart.

- La part de tous les hommes : se connaître et bien penser.

- Bien penser : la qualité suprême. 

La sagesse : dire le vrai et agir à l'écoute de la nature.

- La sagesse consiste en une seule chose : 

savoir qu'une sage raison gouverne tout à travers tout.

- Si l'on n'espère pas l'inespérable, on ne le découvrira pas, 

car il est inexplorable et sans voie d'accès.

- Ne conjecturons pas au hasard sur les plus grands sujets.

- La nature aime à se cacher.

- De ce qui jamais ne se couche, comment quelqu'un pourrait-il se cacher ?

- Ce que l'on voit, entend, perçoit, c'est cela que je préfère.

- Mauvais témoins les yeux et les oreilles de ceux qui ont des âmes barbares.

- Ce monde, le même pour tous, ni dieu ni homme ne l'a fait, 

mais il était toujours, il est et il sera, 

feu toujours vivant, s'allumant et s'éteignant en mesure.

- Le feu survenant, jugera et saisira tout.

- La foudre gouverne tout.

- Le soleil est nouveau chaque jour.

- Il est difficile de combattre la colère, car elle l'emporte au prix de la vie.

- Dieu est jour nuit, hiver été, guerre paix, satiété faim ; 

il se différencie comme le feu, quand il est mêlé d'aromates 

et nommé suivant le parfum de chacun d'eux.

- La nature de chaque jour est une.

- Pour Dieu, toutes choses sont belles, et bonnes et justes, 

mais les hommes tiennent certaines pour injustes et d'autres pour justes.

- La maladie fait la santé agréable et bonne, 

la faim fait de même pour la satiété, et la fatigue pour le repos.

- La fatigue c'est de peiner aux mêmes tâches et par elles recommencer.

- L'adverse est bénéfique, 

et le plus bel assemblage se fait à partir de choses différentes.

- Dans la machine à fouler, le chemin de la vis, 

droit et courbe, est un et le même.

- Le chemin montant descendant est un et le même.

- Sur le circuit du cercle, le commencement et la fin sont la même chose.

- La mer, eau la plus pure et la plus impure : bonne à boire et cause de vie pour les poissons, imbuvable et cause de mort pour les hommes.

- Il faut savoir que la guerre est universelle, et la joute justice, 

et que toutes choses sont engendrées et nécessitées par la joute.

- La guerre est le père de toutes choses, de toutes le roi...

- Le Temps est un enfant qui joue en déplaçant des pions : un enfant roi.

- Nous entrons et n'entrons pas dans les mêmes fleuves, 

nous sommes et ne sommes pas.

- On ne peut pas entrer deux fois dans le même fleuve.

- Tout cède. Rien ne tient bon.

- Tout s'écoule.


Fragments (PUF).

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Les historiens situent Héraclite d'Éphèse au début du Vème siècle avant notre ère. Il aurait été une aristocrate déchu de ses fonctions qui aurait trouvé dans la philosophie une issue à ses problèmes. Opposé à la tyrannie et à la démesure, sage sans maîtres et probablement sans disciples, mais non sans connaissance des penseurs qui l'ont précédé (Hésiode, Xénophane, Pythagore...), Héraclite est un philosophe dont la pensée a marqué, avec celle de Parménide, toute la recherche philosophique ultérieure, de Platon à Heidegger.


OEUVRES 


Son ouvrage essentiel, écrit en dialecte ionien et en prose rythmée, est perdu, et on ignore même quel en était le titre. On en possède environ 120 fragments, recueillis auprès de divers citateurs. Ils expriment avec une grande simplicité, et en peu de mots, des intuitions d'une rare profondeur. Mais leur concision multipliant les possibilités d'interprétation, entraîne une certaine obscurité.

- Fragments, traduction et présentation par J.F.Pradeau (Flammarion-2002).

- Fragments traduits et commentés par Marcel Conche (PUF - 1998) coll. Épiméthée. 

La meilleure explication des textes pour qui a fait du grec, doublée d'un excellent commentaire philosophique. Mais ce livre est plus cher que le précédent.

HOUANG PO

Tous les Bouddhas et tous les êtres vivants ne sont qu'un seul esprit. Depuis des temps sans commencement, cet esprit, jamais venu à l'existence, n'a jamais cessé d'exister... illimité et insondable, on dirait l'espace vide.

Il n'est rien dans notre fondamentale bouddhéité, si ce n'est un vide ouvert et paisible, une clarté merveilleuse et pleine de félicité, où la réalisation profonde et spontanée plonge directement. Tout est là, parfaitement complet, rien ne fait défaut.

Quand on saute directement dans la non-pensée, l'être fondamental se manifeste de lui-même... Là rien qui demeure ou s'accroche, en tous sens rien que liberté, et partout la présence de la Voie.

Il n'y a jamais eu de méthode spirituelle. Le détachement est la méthode, et qui connaît le détachement est Bouddha. Une fois que l'on est détaché de tout, on n'a pas d'autre réalité à trouver. 

La vacuité n'est pas un vide, mais le domaine absolu, unique et véritable. Notre nature d'Éveil a, depuis des temps sans commencement, le même grand âge que le ciel. Elle n'est jamais venue à l'existence et jamais ne l'a quittée. Les bouddhas et les bodhisattvas partagent avec tout ce qui bouge et a une âme cette nature de grand nirvâna.

N'accrochez rien à votre primordialement pure bouddhéité. Elle est comme le ciel : bien qu'elle se pare d'innombrables mérites et formes de sagesse, rien de tout cela n'y est fixé.

Prajna est la connaissance sans caractères particuliers... La seule chose qui y compte, c'est la silencieuse coïncidence... et coïncider avec le domaine absolu, c'est atteindre la liberté.

La "salle du trésor", est celle du trésor de l'esprit réel... Elle ne saurait être construite... On ne peut en donner les mesures avec des mots. Il suffit pour la trouver, de coïncider parfaitement avec la réalité telle qu'elle est. Vous qui cherchez l'esprit avec votre esprit en comptant sur les autres, vous ne faites que prendre et apprendre. Arriverez-vous jamais à quoi que ce soit !... Même si vous pouviez étudier les trois sages et les quatre fruits, même si vous aviez l'esprit plein des dix terres... vous restez dans ce qui naît et s'éteint. Peut-on comparer cela à la plongée directe, en un seul saut, dans la terre du Tathâgata ?

L'inépuisable pratique consiste à se détacher des caractères particuliers.

Aujourd'hui et à tout instant, lorsque vous vous déplacez ou restez debout, assis ou couché, entraînez-vous uniquement à la non-pensée... Que cela vous prenne trois, cinq ou dix ans, il faut que vous ayez un éclair d'expérience... 

Vous n'avez qu'une chose à faire : à tout instant, sans vous appuyer sur rien, ni vous fixer nulle part, laissez-vous porter par le courant des choses. Personne ne saura qui vous êtes, mais quel besoin avez-vous qu'on vous connaisse ou vous ignore. Vous aurez l'esprit ferme, sans faille, et pourtant tout le traversera sans s'y incruster. Vous goûterez alors à la silencieuse coïncidence... Dans un tel état d'esprit un, les expédients ne sont que des ornements.

Ces montagnes bleutées qui nous comblent le regard et les univers perdus dans l'espace forment une seule terre de blancheur... et tous les êtres vivants sont des manifestations de l'Éveil.


Entretiens de Houang-Po (Les deux Océans - 1985).

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Houang-Po est l'un des grands maîtres du bouddhisme Tch'an. Il vécut au IXème siècle, à l'orée de la grande proscription du bouddhisme (845) à laquelle le Tch'an put échapper grâce à son indépendance matérielle et à sa vitalité. Ce grand maître de méditation doit son nom au mont Houang-Po sur lequel il vécut un temps.


L'OEUVRE


Un haut fonctionnaire devenu son disciple, P'ei Sieou, consigna son enseignement dans deux rouleaux : La méthode de transmission de l'esprit et le recueil de Wan-ling.

- Patrick Carré, les Entretiens de Houang-Po (Les deux Océans - 1985).

- Tch'an, Zen, racines et floraisons, texte du Wan ling lou traduit par L.Wang (Les deux Océans - 1985).

HOUEI NENG

Amis éclairés, qu'est-ce que la méditation ? Méditer signifie être libre de tous les obstacles, ne pas être troublé mentalement, quelles que soient les circonstances extérieures bonnes ou mauvaises. Méditer signifie réaliser, intérieurement, la sérénité de notre propre nature... Celui qui est capable de garder son esprit serein, en toutes circonstances, a réellement atteint le samâdhi.


Amis éclairés, rester libre de tout attachement envers les objets extérieurs, c'est la méditation (dhyâna). Atteindre la paix intérieure, c'est le samâdhi.


De sensation momentanée en sensation momentanée, sans relâche, prenons conscience de notre propre nature. Soyons perpétuellement dans un état d'attention juste... D'instant en instant, réalisons la pureté de notre nature propre. En pratiquant et en s'exerçant on accomplit la voie de Bouddha...


Amis éclairés, à quoi comparer méditation et sagesse ? A une lampe et à sa lumière. La lampe est le corps de la lumière, la lumière est la fonction de la lampe.


Amis éclairés, la Mâhâprajnâparâmita est ce qu'il y a de plus mystique, de plus élevé, elle est éminente. Elle ne demeure, ni ne va, ni ne vient. Tous les bouddhas en proviennent. 

Que signifie mahâ ? Mahâ veut dire "grande". Grande et vaste, tel le vide de l'espace, est la capacité du coeur... La nature propre de chacun est véritablement vacuité.

Qu'implique "parâmitâ" ? Faire atteindre l'autre rive, éloigner de cette rive-ci, c'est-à-dire de l'attachement aux objets. Quand on s'en détache, il n'y a plus ni naissance ni mort, l'eau s'écoule uniment : on l'appelle l'autre rive (parâ).

L'éveil est la réalisation immédiate de la non-pensée (wou-nien). Le sans souvenir (wou yi), le sans-attachement (wou tchou)... la non appropriation et le non rejet des choses. Tout cela c'est la vision de la nature propre et l'accomplissement de la voie du Bouddha.


Amis éclairés, le regard de la sagesse ultime pénètre et illumine l'intérieur et l'extérieur, assure la connaissance complète du coeur foncier. Connaître le coeur foncier, c'est la libération foncière. Obtenir la libération, c'est atteindre le samâdhi de sagesse qui est non-pensée (wou-nien).


Les ignorants prétendent qu'il faut rester assis sans bouger en oubliant tout et sans qu'aucune pensée ne se lève dans le coeur. Croire cela, c'est supprimer toute sensation, c'est un obstacle sur la voie. Amis éclairés, le Tao doit couler librement.

Ne penser à rien, toujours interrompre la pensée du moment, c'est s'enchaîner aux phénomènes, c'est une vue extrême... et chercher l'illumination hors du monde, c'est chercher des cornes de lapin.


Le samâdhi de l'unité consiste, juste là où l'on se trouve, que l'on soit en marche, debout, assis ou couché, à garder toujours le coeur droit.... Pratiquez la droiture et ne vous attachez à aucune chose.

Qu'appelle-t-on la non-pensée ? C'est de voir la totalité des choses, le coeur restant sans attachement... La non-pensée dans l'action s'étend de toutes parts sans s'attacher à aucune demeure. Le non attachement est pareil à l'eau courante sans écume. C'est lui la rive opposée.


La sagesse suprême est la même en toute personne... et une lueur d'illumination suffit pour rendre les êtres vivants égaux à un Bouddha.


Cette Porte du Dharma, que j'enseigne comporte la non-pensée, comme doctrine, la non-différenciation comme corps et la non-demeure comme fondement.


- Ne pas faire de différences, c'est être détaché des choses tout en vivant parmi elles.


- La non-pensée, c'est être sans pensée dans la pensée même.


Discours et sermons (Albin Michel).

APERÇU BIOGRAPHIQUE


Houei-Neng vivait au VIIème siècle. La tradition en fait un paysan illettré qui, demandant à être reçu dans un monastère, y fut relégué aux cuisines. Hong-jen, le maître du lieu ayant demandé à ses moines de rédiger une stance en vue de déterminer son successeur, Shen Hsiu, l'ancien le mieux placé pour le devenir, écrivit :


Ce corps est l'arbre de l'éveil.
Ce coeur est un miroir brillant.
Sans cesse nous les nettoyons
Afin d'en détacher la poussière.


Houei-Neng, passant devant elle, se la fit lire puis fit écrire la sienne :


Il n'y a pas d'arbre de l'éveil,
Ni cadre de miroir brillant.
Puisque au fond tout est vide,
Où pourrait s'attacher la poussière ?


Hong-jen lisant cela fit venir Houei-Neng et lui transmit ses pouvoirs. Mais il lui demanda de s'éclipser quelque temps afin d'apaiser les jaloux.

Après quoi Houei-Neng devint le sixième patriarche du Tch'an et le premier grand maître de l'éveil subit. 


L'OEUVRE 


C'est par ce récit que commence le sûtra de l'Estrade dans lequel Houei-Neng (ou plutôt l'un de ses disciples) nous conte son histoire. 

On en trouvera la traduction dans :

- Discours et Sermons, Houeï-Nêng, trad. par Lucien Houlné, (Albin-Michel - 1963)