A L’ÉCOUTE DES SAGES
SAINT AUGUSTIN
Tu as appelé, clamé, brisé ma surdité, Tu as brillé, resplendi, chassé mon aveuglement. Tu as embaumé ; j'ai humé et j'aspire à Toi, j'ai goûté et j'ai faim et j'ai soif de Toi ; Tu m'as touché et je me suis embrasé pour ta paix.
J'entrai au plus secret de mon âme sous Ta conduite. Si je l'ai pu, c'est avec ton aide. J'entrai et, si faible qu'il fût, avec l'œil de mon intelligence je vis par-dessus cet œil intérieur une lumière immuable... Elle était au-dessus de moi comme l'auteur de mon être et moi, sous elle, comme étant son ouvrage. Connaître la vérité c'est connaître cette lumière et la connaître c'est connaître l'éternité. L'amour est l'œil qui la voit.
Ô éternelle vérité, ô véritable charité, ô chère éternité ! Tu es mon Dieu. Vers toi, je soupire jour et nuit. Dès que je t'ai connue, tu m'as soulevé vers toi pour me faire voir qu'il me restait infiniment à voir, sans que j'eusse encore les yeux pour voir... J'entendais à peine ta voix me dire du haut des cieux : "Je suis la nourriture des forts, grandis, et tu me mangeras. Mais tu ne me changeras pas en toi comme la nourriture de ta chair ; c'est toi qui seras changé en moi."
Quel est-il Celui-là par-dessus la cime de mon âme ? Vers Lui je monterai à travers mon âme elle-même.
Voici qu'un certaine douceur nous remplit ; voici qu'en la pointe de l'âme, nous avons pu, dans un rapide éclair saisir quelque degré de l'Immuable.
Ô amour toujours brûlant, toi qui ne t'éteins jamais, amour mon Dieu, embrase-moi !
J'ai touché déjà de l'immuable, pourquoi me troubler encore ? Parce que je ne suis pas encore là où se trouve ce bien, cette douceur qui m'a ravi comme par surprise ?
Espérons que nous parviendrons à ces années immobiles dont la course du soleil ne mesure pas le jour, mais où ce qui demeure est tel qu'il est, parce que seul, véritablement il "est".
Deux amours ont bâti deux cités. L'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu, la cité terrestre ; l'amour de Dieu, jusqu'au mépris de soi. L'une mendie sa gloire auprès des hommes ; Dieu, témoin de la conscience, est la plus grande gloire de l'autre.
O Seigneur, notre Dieu, protège-nous et porte-nous ! Tu porteras, toi, oui tu porteras, toi, les tout petits et jusqu'aux vieillards, c'est toi qui les porteras ! C'est que la force en nous, quand elle ne fait qu'un avec toi, alors, oui, elle est la force ; quand, au contraire, elle est de par nous, elle est faiblesse. En toi subsiste, vivant, notre bien... Nous avons beau être absents, notre demeure ne croule pas, qui est ton éternité.
Extraits des Confessions, de la Cité de Dieu et du Commentaire du Ps 41.
(Ed. du Seuil, coll. Points Sagesse)
APERÇU BIOGRAPHIQUE
Augustin naquit en 354 à Thagaste (en Afrique du nord) et découvrit la philosophie à dix-neuf ans à travers Cicéron. Ayant reçu une éducation aux lettres classiques, il devint un rhéteur de talent et fonda même une école d'éloquence. Mais le grand virage de sa vie se situe à trente-deux ans lorsque, touché par une grâce mystique, il se convertit subitement au christianisme qu'il avait là jusque là méprisé. Feuilletant les épîtres de Paul, il entendit une voix lui dire : "Prends, lis !" Il ne cesse de revenir sur l'expérience bouleversante faite alors.
Outre la Bible, Augustin converti découvrit le néoplatonisme à travers Plotin, Porphyre, Ambroise et Grégoire de Nazianze. Il s'orienta aussi vers une vie monastique à laquelle il resta attaché toute sa vie, rédigeant même une règle communautaire, mais il la quitta pour devenir évêque d'Hippone en 395.
Avant cela toutefois il avait vécu treize ans avec une jeune femme qui lui avait donné un fils (mort à dix-sept ans) : Adéodat. De cette époque à laquelle sa conversion et sa mère l'ont arraché, il a gardé longtemps nostalgie et culpabilité.
A Hippone, Augustin déploya une grande activité en matière d'enseignement, de prédication, de justice et d'assistance. Il y devint aussi le grand théologien de l'Occident chrétien face aux hérésies donatiste, pélagienne et manichéenne contre lesquelles il lutta jusqu'à la fin de sa vie. Celle-ci prit fin en 428, par une fièvre infectieuse, alors que les Vandales faisaient le siège d'Hippone.
L'ŒUVRE
L'œuvre d'Augustin est considérable : 113 traités dont certains imposants, 218 lettres, et combien de perdues, plus de 500 sermons. Son influence a été immense : non seulement sur la théologie chrétienne mais sur toute la culture occidentale. Tous les augustinismes orthodoxes ou non, ambigus ou éclairants, qui l'ont suivi, le montrent.
Sa doctrine mystique, à elle seule, a marqué la plupart des écoles de spiritualité chrétienne. Plus particulièrement celle de St Victor où l'on pratiquait sa règle monastique, celle de Bernard de Clairvaux qui le cite souvent, le courant humaniste issu de Lefèvre d'Étaples et d'Érasme, la réforme protestante de Luther et Calvin, et l'école française fondée par Bérulle.
Il existe des éditions des œuvres complètes d'Augustin. Mais, vu le nombre de volumes, elle ne peuvent intéresser que les spécialistes. Voici deux références plus accessibles :
- Les Confessions (Seuil - 1982) coll. Points Sagesse.
- La Cité de Dieu (Seuil - 1994) 3 tomes, coll. Points Sagesse.
SAINT JEAN
Dieu est lumière, et de ténèbres, il n'y a pas trace en lui...
Si nous marchons dans la lumière comme lui-même est dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres...
Celui qui prétend être dans la lumière tout en haïssant son frère est toujours dans les ténèbres.
Qui aime son frère demeure dans la lumière, et il n'y a rien en lui pour le faire trébucher ; mais qui hait son frère se trouve dans les ténèbres ; il marche dans les ténèbres et il ne sait pas où il va, parce que les ténèbres ont aveuglé ses yeux.
Nous savons que nous sommes passés de la mort dans la vie parce que nous aimons nos frères. Qui n'aime pas demeure dans la mort. Quiconque hait son frère est un meurtrier. Et, vous le savez, aucun meurtrier n'a la vie éternelle demeurant en lui.
C'est à ceci que désormais nous connaissons l'amour : lui, Jésus, a donné sa vie pour nous ; nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères.
Si quelqu'un possède les biens de ce monde et voit son frère dans le besoin, et qu'il se ferme à toute compassion, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui ?
Mes petits enfants, n'aimons pas en paroles et de langue, mais en acte et en vérité.
Si quelqu'un dit : "J'aime Dieu" et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur. En effet, celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne peut pas aimer Dieu qu'il ne voit pas.
Et voici le commandement que nous tenons de lui : celui qui aime Dieu, qu'il aime aussi son frère.
Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, car l'amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu. Qui n'aime pas n'a pas découvert Dieu, car Dieu est amour...
Dieu, nul ne l'a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour, en nous, est accompli.
A ceci nous reconnaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : il nous a donné de son Esprit.
Dieu est amour : qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui.
Mes petits enfants gardez-vous des idoles.
Première épître de Jean (Bible de Jérusalem).
APERÇU BIOGRAPHIQUE
La tradition chrétienne, depuis Irénée (IIème s.), voit dans l'auteur de l'évangile de Jean, des trois épîtres qui portent son nom et de l'Apocalypse, l'apôtre Jean fils de Zébédée et de Salomé, frère de Jacques (le Majeur), né à Bethsaïde où il exerçait le métier de pêcheur avant de se mettre à suivre Jésus. Avec Jacques et Pierre, il forme dans l'entourage de Jésus un groupe privilégié, et lui-même, dans le quatrième évangile, est nommé : "le disciple que Jésus aimait". Avant comme après la résurrection du Christ, Jean est cité en compagnie de Pierre, ce qui témoigne de son importance dans la communauté chrétienne primitive.
Une tradition fiable, encore rapportée par Irénée, le fait venir à Éphèse comme responsable des Églises d'Asie Mineure. Exilé à Patmos, il serait ensuite revenu dans cette ville et y serait mort au début du IIème siècle.
L'ŒUVRE
On attribue à l'apôtre Jean le quatrième évangile, les trois épîtres qui portent son nom et l'Apocalypse, mais aussi les Actes apocryphes de Jean (IIème s.) et trois Apocalypse apocryphes.
Toutes ces attributions ont été plus ou moins remises en question par l'exégèse moderne. Pour ce qui est de l'évangile, il est probable que son auteur, quoique bénéficiant d'une grande autorité spirituelle et rapportant des témoignages de première main, est un autre Jean que le fils de Zébédée. On peut supposer qu'il se rattache (comme l'Apocalypse) à des communautés chrétiennes éphésiennes héritières de l'enseignement de l'apôtre.
SALOMON
Ce qu'est la Sagesse et comment elle prit naissance, je vais le publier ; je ne vous en cacherai pas les secrets. J'en suivrai les traces depuis l'origine, je mettrai sa connaissance en pleine lumière et ne m'écarterai pas de la vérité... Le multitude des sages est le salut du monde. Laissez-vous donc instruire par mes paroles : vous y trouverez profit.
Je ne suis, moi aussi, qu'un homme mortel semblable à tous les autres... C'est pourquoi j'ai prié, et l'intelligence m'a été donnée, j'ai supplié, et l'esprit de sagesse m'est venu. Je l'ai préférée aux sceptres et aux trônes et j'ai tenu pour rien la richesse auprès d'elle. Je ne lui ai pas comparé la pierre la plus précieuse, car tout l'or du monde, devant elle, n'est qu'un peu de sable ; à côté d'elle, l'argent compte pour de la boue. Plus que santé et beauté je l'ai aimée, je l'ai préférée à la lumière, car son éclat ne connaît point de repos. Et avec elle me sont venus tous les biens...
Que Dieu m'accorde d'en parler à son gré et d'émettre des pensées dignes de ses dons, puisqu'il est lui-même le guide de la Sagesse et qu'il dirige les sages...
L'ouvrière de toutes choses qui m'a instruit, c'est la Sagesse ! En elle est un esprit intelligent, saint, unique, multiple subtil, agile, pénétrant, sans souillure, clair, impassible ami du bien, acéré, incoercible, bienfaisant, ami des humains, constant, ferme, sans souci, qui peut tout, surveille tout, pénètre tous les esprits, les intelligents, les purs, les plus subtils. Car plus que tout mouvement la Sagesse est mobile. Elle traverse et pénètre tout grâce à sa pureté.
Elle est un souffle de la puissance divine, une effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant ; aussi, rien de souillé ne pénètre en elle. Elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tache de l'activité de Dieu, une image de son excellence. Bien qu'unique, elle peut tout, sans sortir d'elle-même, elle renouvelle toutes choses. Elle se répand au long des âges dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes, car Dieu n'aime que celui qui vit avec la Sagesse. Elle est, en effet, plus belle que le soleil, elle surpasse toutes les constellations ; comparée à la lumière, elle l'emporte : car la lumière fait place à la nuit, mais contre la Sagesse le mal ne saurait prévaloir.
Elle déploie sa force d'un bout du monde à l'autre et d'une manière bienfaisante régit l'univers. C'est elle que j'ai chérie et recherchée dès ma jeunesse. Je me suis efforcé de l'avoir pour épouse et suis devenu l'amant de sa beauté... Si, dans la vie, la richesse est un bien désirable, quoi de plus riche que la Sagesse, qui opère tout ? Si c'est l'intelligence qui opère, qui plus que la Sagesse est ouvrière de l'univers ? Aime-t-on la justice ? les vertus sont le fruit de ses labeurs ; elle enseigne, en effet, tempérance et prudence, justice et courage ; or, rien dans la vie n'est plus utile aux hommes... Je décidai donc d'en faire la compagne de ma vie, sachant qu'elle serait ma conseillère aux jours heureux, ma consolation dans mes soucis et peines.
Méditant ces pensées en moi-même, et considérant en mon coeur qu'on trouve l'immortalité dans l'union avec la sagesse, dans son amitié une jouissance pure, dans les travaux de ses mains d'inépuisables richesses, l'intelligence à cultiver sa société et la renommée à s'entretenir avec elle, j'allais de tous côtés, cherchant par quel moyen je pourrais la prendre chez moi... Comprenant que je ne pourrais conquérir la Sagesse que par un don de Dieu, - et c'était déjà de l'intelligence que de savoir d'où vient cette faveur,- je me tournai vers le Seigneur et le priai ; je dis de tout mon coeur :
Dieu des pères, Seigneur de miséricorde, toi qui, par ta parole, as fait l'univers, toi qui, par ta Sagesse, as formé l'homme pour régner sur les créatures sorties de tes mains, pour gouverner le monde en sainteté et justice et exercer son pouvoir avec une âme droite, donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse, et ne me rejette pas du nombre de tes enfants. Car je suis ton serviteur et le fils de ta servante, un homme faible et de vie éphémère, incapable de comprendre la justice et les lois. Quelqu'un, en effet, serait-il parfait parmi les enfants des hommes, s'il lui manque la sagesse qui vient de toi, on le comptera pour rien. C'est toi qui m'as choisi pour régner sur ton peuple...
Avec toi est la Sagesse, qui connaît tes oeuvres et qui était présente, quand tu faisais le monde ; elle sait ce qui est agréable à tes yeux, et ce qui est conforme à tes commandements. Envoie-la des cieux, de ton trône de gloire, pour qu'elle me seconde et qu'elle peine avec moi et que je sache ce qui te plaît, car elle sait tout et comprend tout. Elle me guidera prudemment dans mes entreprises et me protégera par sa gloire. Alors mes oeuvres te seront agréables, je gouvernerai ton peuple avec justice et je serai digne du trône de mon père...
Nous avons peine à deviner ce qui est sur la terre, et ne trouvons qu'avec effort ce qui est à notre portée ; qui donc a pu découvrir ce qui est dans les cieux ? Et ta volonté, qui l'aurait connue, si toi-même n'avais donné la Sagesse et n'avais envoyé d'en-haut ton Esprit saint ? Ainsi ont été rendus droits les sentiers de ceux qui sont sur la terre, ainsi les hommes ont été instruits de ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés.
Livre de la Sagesse, ch.6 à 9 (Bible de Jérusalem).
L'OEUVRE
Le Salomon de l'histoire, fils du roi David, grand roi lui-même et sage de surcroît, n'est pas l'auteur du texte que vous venez de lire. Celui-ci lui est seulement attribué, selon un procédé de fiction littéraire, par un juif de culture grecque.
Il n'en reste pas moins que le livre de la Sagesse composé par cet auteur fait partie des grands écrits de l'Ancien Testament. Il remonte à 20 ou 30 avant J.C. et se situe dans l'ambiance culturelle du judaïsme alexandrin. Il se divise en trois parties : la première entend éclairer la destinée humaine ; La deuxième (d'où est tiré notre texte) fait l'éloge de la Sagesse, et la troisième médite sur l'histoire d'Israël.
Son auteur est enraciné dans la religion juive mais ouvert aussi à la pensée grecque à laquelle il emprunte des termes et des notions. C'est ainsi qu'il introduit l'idée de l'immortalité de l'âme (des justes) étrangère jusqu'à lui au judaïsme, et celle de la fonction cosmique de la Sagesse, proche de celle du Logos stoïcien. Certaines de ces idées se retrouveront dans le Nouveau Testament chez saint Paul (Rm 1, Co 1…) et saint Jean (Prologue de son évangile).
Mais par delà ces influences, nous avons affaire à un poète et à un sage qui mérite d'être lu et médité pour lui-même, pour la lumière que dégage ses écrits.
CARL SANDBURG
Un père voit son fils devenir un homme.
que doit-il lui dire ?
"La vie est dure : sois fort, sois un roc !"
Cela pourrait lui permettre de traverser les tempêtes,
lui servir de viatique contre la banalité, la monotonie,
de guide pour garder le cap parmi les trahisons soudaines,
de source d'énergie quand on n'a plus envie de rien.
"La vie est une terre meuble. Sois doux, prends ton temps !"
Ce conseil aussi pourra lui être utile.
On a vu des brutes céder à la douceur là où la force avait échoué.
On a vu parfois une frêle fleur des montagnes
pousser au coeur du roc, et puis le fendre.
C'est la fermeté qui importe, et aussi le désir
et aussi un vouloir fait de douceur, de plénitude.
Sans lui, rien ne se passe dans la vie.
Dis-lui que l'excès d'argent a tué bien des hommes
et les a laissés sans vie avant la tombe,
que l'appât du gain, hormis quelques menus plaisirs
a changé des êtres, au demeurant honorables,
en des frustrés au coeur sec.
Dis-lui que le temps, comme toute chose, peut se perdre.
Dis-lui de savoir être fou de temps en temps
et de ne pas en avoir honte,
mais de savoir en même temps tirer profit de ses folies
pour espérer ne pas refaire les plus inutiles d'entre elles
et parvenir ainsi à comprendre de l'intérieur
Un monde qui compte tant de fous.
Dis-lui d'être seul souvent pour accéder à son propre coeur
et surtout de ne pas se mentir à lui-même,
dût-il parfois user de pieux mensonges
et de façades en société.
Dis-lui que la solitude est créative s'il est fort
et que les grandes décisions se prennent dans des lieux silencieux
Dis-lui d'être différent des autres
si cette démarche lui est aisée et naturelle.
Qu'il sache parfois ne rien faire pour sonder la source de ses actes,
qu'il puise loin pour trouver sa vraie nature.
Alors il pourra comprendre Shakespeare
et les frères Wright, Pasteur, Pavlov,
Michael Faraday et tous ces esprit libres
qui font changer un monde refusant tout changement.
Alors il aura assez de solitude et de temps
pour se consacrer à l'oeuvre
qu'il sait être sienne.
APERÇU BIOGRAPHIQUE
Carl Sandburg (1878-1967) est un écrivain américain d'origine suédoise. Après avoir quitté l'école à l'âge de 13 ans, il a travaillé comme ouvrier et peintre en bâtiment, s'est engagé comme militaire dans la guerre hispano-américaine, puis a repris des études. Il a fait ensuite du journalisme et s'est engagé syndicalement et politiquement. Il a publié un recueil de poésie célèbre : les Chicago poems .
C'était, au dire de ses proches, un homme simple, chaleureux, généreux, et très près de la sensibilité populaire.
L'OEUVRE
Dans les Chicago poems, son oeuvre la plus connue, Sandburg s'attache à souligner la beauté et la valeur du quotidien. C'est en tant que poète qu'il a obtenu le prix Pulitzer, en 1951. Mais il a aussi écrit un roman, des histoires et des poèmes pour enfants, ainsi qu'une remarquable biographie d'Abraham Lincoln en 6 volumes.
SARAHA
Sans connaître le mystère, c'est en vain que les brahmanes récitent les quatre Veda. Les ascètes mendiants jaïna aux ongles longs, aux vêtements sales ou entièrement nus, s'arrachant les cheveux et dont la conduite parodie la voie, se lient eux-mêmes au moyen de leur doctrine de la délivrance... Privés de la Réalité, ils ne font que tourmenter leur corps !
Celui qui, délaissant le Spontané, se consacre au nirvâna en aucune manière n'accédera au Sens ultime. Comment en s'attachant à quelque chose peut-on obtenir la délivrance ? A quoi bon les austérités, à quoi bon les pèlerinages ? Peut-on atteindre la délivrance en se plongeant dans l'eau ?
Laisse-là tout attachement, renonce aux contraires illusoires. Il n'y a rien d'autre que la parfaite connaissance de "Cela". Quand la Conscience s'éveille, tout est Cela.
Là où l'on vit, là où l'on disparaît, c'est là, mon fils, qu'il te faut demeurer !
Si l'on n'est pas délivré tout en prenant intensément plaisir au monde sensible, peut-on appeler cela Connaissance parfaite ? Ce par quoi l'on naît, vit et meurt, par cela même on acquiert la suprême, l'ultime Béatitude.
Mangez et buvez, soyez heureux en jouissant des plaisirs, et remplissez sans cesse de ces offrandes le cercle tantrique. C'est ainsi que l'on gagne l'autre monde.
Jouir du monde sensible, sans être pollué par le sensible, cueillir le lotus sans toucher l'eau, ainsi fait le yogin qui repose à la racine des choses : tout en jouissant du sensible, il ne s'en rend pas esclave.
Regardez, écoutez, touchez, mangez, sentez, marchez, restez assis, levez-vous, mais renoncez au bavardage de la vie courante. Abandonnez la pensée, ne vous écartez pas de l'Un.
Là où ni pensée ni souffle ne circulent, là où ni soleil ni lune ne pénètrent, là même, mets ta conscience en repos. Fais un, ne fais pas deux. Dans la Connaissance ne fais pas de distinction... Dans la Béatitude suprême, ni soi ni autre !
Tout ce que l'on voit, devant, derrière, dans les dix directions, c'est la Réalité. Là où vole en éclats le sentiment du moi, ami, voici le corps du Spontané. Là où la pensée meurt... là réside la suprême et grande Béatitude. C'est la prise de conscience intime. Connais ta propre pensée d'une façon subtile, ô yogin, elle est comme l'eau se mêlant à l'eau.
Tout ce qui naît de la conscience a même nature qu'elle : les vagues sont-elles autres que l'eau ? Celui qui rend sa pensée sans pensée se réjouit de la suprême nature du Spontané.
Perçois la conscience comme Conscience, ô ignorant, et abandonne toutes les vues erronées. Purifie-toi dans la suprême et grande Béatitude ; c'est d'elle que dépend la véritable action.
Laisse là complètement la pensée et la non-pensée et sois comme un enfant.
Ô toi, fils, reconnais la saveur de ce nectar si parfaitement inhérent au non-savoir. Ô fils, la Réalité a une saveur merveilleuse, on ne peut exprimer sa nature. Tel est, libre d'imagination, l'éminent séjour de la Béatitude dont le monde jaillit.
De la seule conscience sort la graine universelle et aussi, frémissants, devenir et nirvâna... Voici le fleuve divin, la Jamunâ, voilà le Gange à l'appel de l'océan, voilà Prayâga et Bénarès, voilà la lune et le soleil !
"C'est moi, c'est un autre", conçoit-on. Dépouille ce lien qui rend captif ; c'est ainsi qu'on se libère soi-même. Ne te trompe pas sur toi-même et autrui. Tout sans distinction est le Bouddha.
La conscience liée, on est lié ; la conscience libérée, on est libéré. Pas le moindre doute à ce sujet. Cela même qui lie les ignorants libère immédiatement les éveillés. Lié, on court dans les dix directions ; libre, on reste immobile. Ami, regarde le chameau. Ce paradoxe me frappe par son évidence.
La pensée aussi instable que le vent et le cheval, abandonnez-la. Prenez conscience de la nature propre du Spontané et d'elle-même la pensée s'immobilisera.
Au cours de mes pérégrinations j'ai visité des sanctuaires et mains autres lieux de pèlerinage sacrés, mais je n'ai pas vu de gué aussi plein de béatitude que mon corps.
L'enseignement du maître est nectar d'immortalité. qui n'en boit pas très vite meurt de soif dans les steppes désertiques des innombrables traités.
Que la parole du maître pénètre le cœur et le disciple voit le trésor comme dans sa propre main.
Le Dieu est unique, mais il est révélé en de nombreuses traditions, étant perçu selon le désir de chacun. On ne le voit pas venir, on ne sait pas s'il vient ou s'il demeure. On reconnaît le suprême Seigneur comme sans tache et sans houle !
Il est à la maison et elle sort à sa recherche ; elle est avec son époux et elle s'enquiert de lui auprès des voisins ! Insensé, connais le Soi, Il n'est objet ni de méditation ni de concentration ni de récitation.
Le monde entier est tourmenté par les paroles et personne n'échappe aux paroles. Ce n'est que libre de paroles qu'on fait tourbillonner les paroles. J'ai récité "que le succès soit !", mais j'ai bu l'eau de vie et j'ai tout oublié. Il n'y qu'une parole que je connaisse et son nom, ami, je l'ignore !
Quiconque délaissant la compassion s'attache à la Vacuité n'a pas trouvé la meilleure des voies. Qui s'adonne uniquement à la Compassion ne se libère pas du cycle des existences. Mais celui qui peut unir les deux ne distingue pas le devenir du nirvâna.
Tel le devenir, tel le nirvâna; n'imaginez aucune distinction.
Ne reste pas chez toi, ne va pas dans la forêt, connais parfaitement la pensée où que tu sois. Pour qui réside dans l'illumination indivise et ininterrompue, où est le devenir, où est le nirvâna ? Ni chez toi, ni dans la forêt l'illumination ne réside. Prenez parfaite connaissance de ce mystère. Soyez non-mutilés dans la nature essentielle de la Conscience immaculée !
Profonde, immense, ni soi ni autrui, connais cette Expérience intime dans la félicité du Spontané. De même que la lune, joyau du ciel, éclaire d'épaisses ténèbres en un seul instant, la suprême et grande Béatitude dissipe toute calamité.
Le bel arbre de la Conscience-sans-dualité s'étend avec ampleur sur le triple monde. Il fleurit en compassion, son fruit se nomme charité envers autrui.
Extraits du Chant de Saraha traduit par L.Silburn,
Le Bouddhisme (Fayard - 1977) p.336 s.
APERÇU BIOGRAPHIQUE
Saraha est un mystique bouddhiste de l'école bengali Sahajiyâ (Véhicule du Spontané). Cette école se rattache au tantrisme indien, mais s'écarte des pratiques, des textes et des rites de ce courant pour n'en retenir que les intuitions essentielles. Saraha chante dans un poème plein de rythme et de santé, la merveille de la vie spontanée, unifiée, à l'écoute du seul Essentiel, dans la joie de vivre la vie simplement, telle qu'elle est.
L'ŒUVRE
Le Dohâkosa de Saraha a été écrit au XIème siècle dans une langue aujourd'hui disparue : l'apabhramsa (vieux bengali). Il a été découvert en 1907 par le pandit Haraprâsada Sâstrî de Calcutta, lors d'un voyage au Népal, avec un autre chant : le Dohâkosa de Kânha. Il compte parmi les plus beaux chants mystiques bouddhistes. La tradition de ces chants (dohâ) s'est perpétuée par la suite en Inde et au Tibet. On le retrouve aujourd'hui encore dans la poésie vishnouite bengali des bauls (fous de Dieu).