A L’ÉCOUTE DES SAGES
SEKITO KISEN
L'esprit du grand sage de l'Inde
s'est transmis fidèlement d'ouest en est.
Aussi est-il vain d'opposer
patriarche du nord et patriarche du sud,
l'un soi-disant subtil à l'autre grossier.
La vraie source est claire et pure.
mais son eau coule dans l'obscurité.
Se cramponner aux choses est illusoire,
mais voir la vérité n'illumine pas toujours.
Dans l'obscurité, on ne distingue pas
le supérieur de l'inférieur, le raffiné du vulgaire,
Dans la lumière, leur différence apparaît.
Tous les êtres sortent de la racine
comme les branches et les feuilles du tronc.
Mais la racine comme les extrémités
doivent revenir à leur nature d'origine.
Noble ou vulgaire, chacun a son discours,
mais en eux nous devons voir la vérité.
Lorsque vous entendez couler les mots,
entendez la source de l'enseignement.
Ne créez pas vos propres règles.
Dans la lumière existe l'obscurité,
mais n'allez pas vers autrui qu'avec l'obscurité.
Dans l'obscurité existe la lumière,
mais ne regardez pas les autres avec seulement la lumière.
La relation entre la lumière et l'obscurité
est comme celle du pied avant et du pied arrière dans la marche.
Chaque être a son mérite propre.
Apprenez à le reconnaître.
Les phénomènes et la vacuité sont comme le récipient
et le couvercle emboîtés,
comme la rencontre de deux pointes de flèche.
Le but n'est ni loin ni près.
Si dans la vie quotidienne
vous ne pratiquez pas comme vous marchez,
comment pourrez-vous avancer sur la Voie ?
Si vous vous attachez à l'idée de bien ou de mal,
sous serez séparé de la Voie par de hautes montagnes
ou de larges rivières.
Chercheurs de vérité, je vous en prie
ne passez pas en vain vos jours et vos nuits.
Extraits du Sandokai
APERÇU BIOGRAPHIQUE
Sekito Kisen est un maître tc'han qui vécut dans la Chine du sud au VIIIème siècle. On ne sait pas grand chose de sa vie sinon qu'il fut disciple du sixième patriarche Huineng. En 742, il se construisit une hutte de paille sur une saillie de pierre au flanc du mont Heng et y pratiqua une méditation assidue. C'est là qu'il obtint sans doute l'illumination qui fit de lui l'un des maîtres tch'an incontesté de son époque. L'on disait alors qu'il y avait pour les moines deux maîtres à voir : Sekito au sud du lac et Mazu à l'ouest de la rivière. Sans se connaître, les deux maîtres s'envoyaient des disciples. Les cinq écoles du Tch'an leur doivent beaucoup.
ŒUVRES
Le Sandokai est un poème de vingt-deux couplets reprenant des thèmes bouddhistes mais aussi taoïstes. Il est récité tous les jours dans les temples zen et tient une place importante dans l'enseignement du zen Soto. Il a été traduit et commenté par Shunryu Suzuki, l'un des maîtres zen contemporains les plus connus en Occident.
SHUNRYU SUZUKI, La source brille dans la lumière, Commentaires du Sandokai (Éd. Sully - 2001)
SÉNÈQUE
Les gens affairés ne savent pas vivre. Il est vrai qu'il n'est pas de science plus difficile. Ceux qui enseignent toutes les autres sont nombreux partout ; on a vu des enfants les apprendre si bien qu'ils étaient capables de les enseigner à leur tour. Mais il faut apprendre à vivre tout au long de sa vie, et, ce qui peut-être t'étonnera davantage, il faut, sa vie durant, apprendre à mourir. Nombreux sont les hommes de très haute valeur qui ont écarté tous les obstacles en renonçant aux richesses, aux fonctions, aux voluptés, pour travailler jusqu'à l'extrême limite de leur vie à acquérir cette seule connaissance : comment vivre ? Pourtant, plusieurs d'entre eux ont avoué qu'en quittant la vie ils ne le savaient pas encore.
Ne va donc pas croire que des cheveux blancs et des rides prouvent qu'un homme a longtemps vécu : il n'a pas longtemps vécu, il a longtemps été. Quoi, te diras-tu qu'un homme a beaucoup navigué parce qu'une violente tempête l'a surpris à la sortie du port, l'a porté cà et là dans la tourmente furieuse de vents différents et promené en cercle sur la même étendue de mer ? Il n'a pas beaucoup navigué : il a seulement été beaucoup ballotté.
Et peut-il y avoir quelque chose de plus insensé que les idées de ceux qui se vantent d'être prévoyants ? Ils sont encore plus laborieusement occupés ! Afin de pouvoir mieux vivre, ils dépensent leur vie à l'organiser. Ils forment des projets à très long terme ; or, le plus grand gaspillage de la vie, c'est l'ajournement : car il nous fait refuser les jours qui s'offrent maintenant et nous dérobe le présent en nous promettant l'avenir. Le plus grand obstacle à la vie est l'attente, qui espère demain et néglige aujourd'hui. C'est de ce qui est entre les mains de la fortune que tu veux disposer, alors que tu lâches ce qui est entre les tiennes. Où regardes-tu ? Vers quel lointain vont tes pensées ? Tout ce qui est censé arriver relève de l'incertain : vis tout de suite.
Les plus grands bonheurs sont inquiets... car tout ce qui vient du hasard est instable... Elle est donc forcément bien malheureuse, et non pas seulement brève, la vie de ceux qui acquièrent à grand-peine ce qu'ils auront encore plus de peine à conserver. C'est laborieusement qu'ils obtiennent ce qu'il désirent ; c'est dans l'anxiété qu'ils protègent ce qu'ils ont obtenu. Pourtant, ils ne prennent pas en compte le temps qui jamais plus ne reviendra : de nouvelles occupations se substituent aux anciennes, l'espoir suscite l'espoir et l'ambition, l'ambition. On ne cherche pas la fin de ses misères, on en change le sujet...
Quant aux loisirs, il serait trop long de passer en revue, un par un, ceux dont la vie s'est consumée à jouer aux échecs ou à la paume, ou à se faire dorer au soleil. Ils ne profitent pas d'un loisir, ceux dont les plaisirs sont la grande affaire. Quant à ceux qui sont plongés dans d'inutiles travaux d'érudition, nul ne mettra en doute qu'ils se donnent bien de la peine pour rien... Seuls mettent à profit un loisir ceux qui se vouent à la sagesse. lls sont les seuls à vivre, car ils ne se contentent pas de bien gérer leur existence mais y ajoutent tous les siècles.. Nous pensons que seuls consacrent leur temps à de véritables occupations ceux qui veulent avoir Zénon, Pythagore, Démocrite et tous les autres prêtres des valeurs suprêmes, Aristote, Théophraste, comme familiers de chaque jour. Aucun d'eux ne nous fera faux bond, aucun ne renverra son visiteur sans le rendre plus heureux, plus disposé à aimer, aucun ne le laissera partir les mains vides. Tout mortel peut aller les trouver la nuit comme le jour. Parmi eux, nul te forcera mais tous t'apprendront à mourir. Parmi eux, aucun ne dilapide tes années mais tous t'apportent les leurs. On a coutume de dire qu'il n'a pas été en notre pouvoir de choisir nos parents, que le hasard nous les a donnés : mais l'homme vertueux peut naître où il veut. Les esprits les plus nobles composent des familles. Choisis celle dont tu veux faire partie...
De la Brièveté de la vie (Arléa - 1989)
APERÇU BIOGRAPHIQUE
Sénèque est né en l'an 4 avant J.C. à Cordoue, mais s'est retrouvé très jeune à Rome où il s'intéressa à la philosophie stoïcienne. Après un séjour en Égypte, il y obtint une charge de questeur. Exilé en Corse par l'empereur Claude, il en fut rappelé par sa femme, l'impératrice Agrippine, qui lui confia l'éducation de son fils Néron.
A l'assassinat de Claude, Néron n'ayant que 17 ans, Sénèque se trouva régent de l'empire avec le préfet Burrus, ce qui eut une influence bénéfique sur l'empire. Avec les années toutefois, Néron prenant de l'autorité et le profil d'un tyran, Sénèque se retira des affaires. Il fut finalement contraint de se suicider, en l'an 65, sur l'ordre de l'empereur et sous le prétexte d'avoir participé à une conspiration.
Parmi les sages de l'antiquité romaine, Sénèque est l'un des plus marquants et, avec Marc-Aurèle, l'un des rares à avoir pratiqué de concert la sagesse et le pouvoir. Il a eu une influence importante sur la pensée occidentale, particulièrement au Moyen Age et à la Renaissance.
L'ŒUVRE
Elle est considérable et c'est la seule d'un stoïcien qui nous soit parvenue dans son intégrité. Elle comporte neuf tragédies à finalité morale et divers traités en prose, tous s'occupant d'enseigner un art de vivre et de diriger les consciences vers le "souverain bien" de l'homme : la vertu. Ces écrits sont pour la plupart de véritables méditations ne cherchant pas tant à établir une doctrine qu'à transformer les esprits.
- Traités de Sénèque (Sand et Tchou).
- L'homme apaisé (Arléa - 1990).
- Consolations (Rivages - 1992).
- Entretiens et lettres à Lucilius (Laffont - 1993).
- La vie heureuse (Arléa - 1995).
- Apprendre à vivre, lettres à Lucilius (Arlea - 2001).
SHANTIDEVA
Puissé-je être pour tous les êtres celui qui calme la douleur !
Puissé-je être pour les malades le remède, le médecin, l'infirmier, jusqu'à la disparition de la maladie !
Puissé-je calmer par des pluies de nourriture et de breuvages le supplice de la faim et de la soif, et pendant les famines... devenir moi-même breuvage et nourriture !
Puissé-je être pour les pauvres un trésor inépuisable, être prêt à leur rendre tous les services qu'ils désirent !
Toutes mes incarnations à venir, tous mes biens, tout mon mérite passé, présent, futur, je l'abandonne sans problème pour que le but de tous les êtres soit atteint.
Le nirvâna, c'est l'abandon de tout ; et mon âme aspire au nirvâna. Puisque je dois tout abandonner, le mieux est de le donner...
Que je ne sois pour personne l'occasion d'aucun dommage ! Si leur cœur est irrité et malveillant à mon sujet, que cela même serve à réaliser les fins de tous ! Que ceux qui me calomnient, me nuisent, me raillent, ainsi que tous les autres, obtiennent l'éveil.
Puissé-je être le protecteur des abandonnés, le guide de ceux qui cheminent, et, pour ceux qui désirent l'autre rive, être la barque, la chaussée, le pont ; être la lampe de ceux qui ont besoin de lampe, le lit de ceux qui ont besoin de lit, le serviteur de ceux qui ont besoin de serviteur ; être la Pierre de miracle, l'Urne d'abondance, la Formule magique, la Plante qui guérit, l'Arbre qui réalise les souhaits, la Génisse qui exauce les désirs !
De même que la terre et les autres éléments servent aux multiples usages des être innombrables répandus dans l'espace infini, ainsi puissé-je être de toutes façons utile aux êtres qui occupent l'espace, aussi longtemps que tous ne seront pas délivrés !
... Comme un aveugle qui trouve une perle dans un tas d'ordures, ainsi s'est levée en moi, je ne sais comment, cette clarté de l'éveil.
C'est un élixir né pour abolir la mort du monde, un trésor inépuisable pour éliminer la misère du monde un remède incomparable pour guérir les maladies du monde, un arbre pour délasser le monde fatigué d'errer dans les chemins de la vie, un pont ouvert à tout-venant pour le conduire hors des voies douloureuses, une lune spirituelle levée pour apaiser la brûlure des passions, un grand soleil pour dissiper les ténèbres de l'ignorance, un beurre nouveau, venant du lait baratté de la bonne Loi.
Pour la caravane humaine qui suit la route de la vie, affamée de bonheur, voici préparé le banquet de la joie, où tous les arrivants pourront se rassasier.
Aujourd'hui, en présence de tous les saints, je convie le monde à l'état de Bouddha, et, en attendant, au bonheur..."
La Marche à la lumière, III, 6, 21, trad. Louis Finot. (Les Deux Océans - 1987).
L'HOMME ET L'ŒUVRE
Shântideva vécut en Inde au début du VIIIème siècle. Disciple lointain de Nâgârjuna, il a laissé deux œuvres importantes : "la Descente dans la carrière de l'éveil" (Bodhicaryâvatâra), un traité en vers décrivant la voie des bodhisattva, et "l'Accumulation des préceptes" (Siksâsamuccaya) qui donne des règles morales à l'usage des bodhisattva. Nous possédons de ces textes des versions en sanscrit, chinois et tibétain.
Shântideva est le chantre de la compassion bouddhique et le dernier grand mystique du Mahâyâna indien qui disparut de l'Inde au VIIIème siècle et céda la place à des penseurs brahmanes influencés par lui, entre autres Shankara.
- Vivre en héros pour l'éveil (Seuil - 1993) coll. Points Sagesse.
- La marche vers l'éveil (Padmakava - 1997).
SIRACIDE
Toute sagesse vient du Seigneur, elle est près de lui à jamais. Le sable de la mer, les gouttes de la pluie, les jours de l'éternité, qui peut les dénombrer ? La hauteur du ciel, l'étendue de la terre, la profondeur de l'abîme, qui peut les explorer ? Mais avant toutes choses fut créée la Sagesse, l'intelligence prudente vient des temps les plus lointains.
La racine de la sagesse, à qui fut-elle révélée ? ses ressources, qui les connaît ? Il n'y a qu'un être sage... c'est le Seigneur. C'est lui qui l'a créée, vue et dénombrée, qui l'a répandue sur toutes ses œuvres, en toute chair selon sa largesse, et qui l'a distribuée à ceux qui l'aiment.
Mon fils, si tu prétends servir le Seigneur, prépare-toi à l'épreuve. Fais-toi un cœur droit, arme-toi de courage, ne te laisse pas entraîner, au temps de l'adversité. Attache-toi à lui, ne t'éloigne pas, afin d'être exalté à ton dernier jour. Tout ce qui t'advient, accepte-le, et dans les vicissitudes de ta pauvre condition, montre-toi patient, car l'or est éprouvé dans le feu, et les élus dans la fournaise de l'humiliation. Mets en Dieu ta confiance et il te viendra en aide, suis une voie droite et compte sur lui... car le Seigneur et compatissant et miséricordieux... Jetons-nous dans les bras du Seigneur, et non dans ceux des hommes car telle est sa majesté, telle aussi sa miséricorde.
Mon fils, conduis tes affaires avec douceur, et tu seras plus aimé qu'un homme munificent. Plus tu es grand, plus il faut t'abaisser pour trouver grâce devant le Seigneur ; car grande est la puissance du Seigneur, mais il est honoré par les humbles. Ne cherche pas ce qui est trop difficile pour toi, ne scrute pas ce qui est au-dessus de tes forces. Sur ce qui t'a été assigné exerce ton esprit, tu n'as pas à t'occuper de choses mystérieuses. Ne te tracasse pas de ce qui te dépasse, l'enseignement que tu as reçu est déjà trop vaste pour l'esprit humain.
Mon fils, ne refuse pas au pauvre sa subsistance et ne fais pas languir les miséreux. Ne fais pas souffrir celui qui a faim, n'exaspère pas l'indigent... Ne repousse pas le suppliant durement éprouvé, ne détourne pas du pauvre ton regard... Prête l'oreille au pauvre et rends-lui son salut avec douceur. Délivre l'opprimé des mains de l'oppresseur et ne sois pas lâche en rendant des jugements. Sois pour les orphelins un père et comme un mari viens en aide aux veuves. Et tu seras comme le fils du Très Haut qui t'aimera plus que ne fait ta mère.
La sagesse élève ses enfants et prend soin de ceux qui la cherchent. Celui qui l'aime aime la vie, ceux qui la cherchent dès le matin seront remplis de joie. Celui qui la possède héritera la gloire ; où il porte ses pas le Seigneur le bénit. Ceux qui la servent rendent un culte au Saint et ceux qui l'aiment sont aimés du Seigneur. Celui qui l'écoute rend des jugements équitables, celui qui s'y applique habite en sécurité... Car elle peut le conduire d'abord par un chemin sinueux, le tourmente jusqu'à ce qu'elle puisse lui faire confiance, mais elle le ramène ensuite sur le droit chemin et lui découvre ses secrets.
Mon fils, tiens compte des circonstances et garde-toi du mal... Ne sois pas trop sévère pour toi-même... Ne tais pas une parole lorsqu'elle peut sauver et ne cache pas ta sagesse. Car c'est au discours qu'on connaît la sagesse et dans la parole que paraît l'instruction. Ne parle pas contre la vérité, mais rougis de ton ignorance. N'ai pas honte de confesser tes fautes, ne t'oppose pas au courant du fleuve.
Ne t'aplatis pas devant un sot, ne sois pas partial en faveur d'un puissant. Jusqu'à la mort lutte pour la vérité, le Seigneur Dieu combattra pour toi. Ne sois pas hardi en paroles, paresseux et lâche dans tes actes. Ne sois pas comme un lion à la maison et un poltron avec tes serviteurs. Que ta main ne sois pas tendue pour recevoir et fermée quand il s'agit de rendre. Ne te confie pas en tes richesses et ne dis pas : "Cela me suffit". Ne laisse pas ton désir et ta force t'entraîner à suivre les passions de ton cœur.
Ne vanne pas à tout vent, ne t'engage pas dans tout sentier. Sache être ferme dans ton sentiment et n'avoir qu'une parole. Sois prompt à écouter et lent à donner ta réponse. Si tu sais quelque chose, réponds à ton prochain, sinon mets la main sur ta bouche... Ne te livre pas à l'excès de ta passion, de peur qu'elle ne ravage ton âme comme un taureau furieux, qu'elle ne dévore ton feuillage et que tu ne perdes tes fruits.
Que soient nombreuses tes relations, mais pour les conseillers prend-en un entre mille. Si tu veux te faire un ami, commence par l'éprouver et ne te hâte pas de te confier à lui. Car tel lie amitié lorsque ça lui chante, qui ne restera pas fidèle au jour de ton épreuve... Éloigne-toi de tes ennemis et garde-toi de tes amis. Un ami fidèle est un puissant soutien : qui l'a trouvé a trouvé un trésor. Un ami fidèle est un baume de vie... Tel on est, tel est l'ami qu'on a.
Siracide ch. 1 à 6 (Bible de Jérusalem).
APERÇU BIOGRAPHIQUE
Jésus fils de Sira est un sage qui a vécu à Jérusalem au IIème siècle avant notre ère. Scribe pénétré de l'amour de la Loi juive, il y a ouvert une école pour enseigner la sagesse qu'il a puisé dans les Écritures et sa propre expérience. Il semble, malgré quelques périodes difficiles, avoir connu une vie tranquille, avec une femme appréciée et des concitoyens qui le respectaient. C'est aussi un homme qui a voyagé. Il est le seul auteur de l'Ancien Testament connu de manière certaine.
L'ŒUVRE
Face à la culture grecque qui se répandait alors dans le monde méditerranéen, Jésus Ben Sira a réagi en rappelant les vertus de la sagesse juive. Il puise pour cela dans Job, le livre des Proverbes, et personnifie la sagesse tout en la rattachant complètement au Dieu de ses pères. Au centre de ses préoccupations : la crainte du Seigneur, qui n'est pas peur mais respect et confiance dans le Créateur et sa providence.
Composée vers 180 avant J.C., son œuvre a été traduite en grec par son petit-fils, et ce n'est que récemment que l'on a retrouvé des versions du texte original hébreu. Elle occupe une place de choix dans les écrits juifs et a été aussi très estimée des premiers chrétiens qui lui ont donné le nom d'Ecclésiastique (livre de l'Église).
SOCRATE
1. LE CONSEIL DE SOCRATE
CONNAIS-TOI TOI-MÊME ! (Gnothi seauton !)
C'est la plus célèbre des paroles de Socrate. Une parole qui a orienté sa vie et sa philosophie, mais qui en fait n'est pas de lui. Il s'agit de l'inscription que l'on pouvait lire sur le Temple de Delphes où Socrate a pu la lire. Toutefois, il a donné à cette parole un sens et un contenu qui dépasse sans doute ce qu'elle signifiait là. Ce que l'inscription voulait dire était probablement : "En entrant dans ce temple souviens-toi de ce que tu es, que tu n'es qu'un homme." Socrate a détourné en quelque sorte les mots de leur sens religieux, appelant à l'humilité, pour leur donner un contenu philosophique : psychologique et moral.
Le "connais-toi toi-même" de Socrate est à l'origine d'une préoccupation qui sera constante après lui dans la sagesse et la philosophie antiques : le souci de soi. Un souci qui n'est pas une forme d'égocentrisme, mais qui exprime le sens d'une responsabilité qui, pour les Grecs, était confiée par les dieux, la Nature, le destin : celle de s'éduquer, de former son être, de l'accomplir. Les Romains aussi avaient en estime l'otium, le loisir, c'est-à-dire pour eux le temps que l'on passe à s'occuper de soi-même.
C'est ce souci que l'on trouve aussi chez Montaigne qui s'est mis à l'école des Grecs et qui disait : "Composer nos moeurs est notre office, non pas composer des livres et gagner des batailles et des provinces, mais l'ordre et tranquillité à notre conduite. Notre grand et glorieux chef-d'oeuvre, c'est vivre à propos... Il n'est rien si beau et légitime que de faire bien l'homme et dûment, ni science si ardue que de bien et naturellement savoir vivre cette vie ; et de nos maladies la plus sauvage, c'est mépriser notre être."
Dans le christianisme, le souci de soi est devenu suspect, une forme d'égocentrisme en conflit avec l'intérêt qu'il faut porter aux autres, ou à Dieu. Dans nos sociétés aussi, pour diverses raisons, la vie s'est extravertie, tournée vers l'action, le travail, le profit, l'action politique, et fait peu retour sur elle-même. D'où le succès qu'y obtiennent actuellement le bouddhisme et diverses formes de méditation qui comblent un manque, répondent à une attente.
2. LE DIALOGUE SOCRATIQUE
Pour Socrate, un moyen privilégié d'accéder à la connaissance, à la vérité de soi-même est le dialogue. Ce dialogue pour lui n'a rien à voir avec un enseignement. Il ne consiste pas en la transmission d'un savoir, mais à la progression d'un questionnement. Deux partenaires s'interrogent ensemble sur une vérité dont ils sont tous deux encore ignorants.
Chaque fois que Socrate amorce un dialogue avec quelqu'un, sa première affirmation est : "Je ne sais rien, mais tu portes en toi une vérité que tu ignores et que j'ignore aussi, essayons de la découvrir ensemble." Il se présente comme un accoucheur de l'âme en quelque sorte, souvenons-nous que sa mère était sage-femme. La vérité est là présente, existante, il s'agit simplement de la faire apparaître, venir au jour, par le dialogue. C'est ainsi du moins que Platon nous présente Socrate.
APERÇU BIOGRAPHIQUE
Socrate est un philosophe grec du V ème s av. J.C. (469 env. - 399). Il naît à Athènes, d'un père sculpteur et d'une mère sage-femme. Endurant et courageux quand il remplit ses obligations militaires, c'est en fait un homme pacifique ayant le sens de ses devoirs civiques. Alors qu'il consulte l'oracle de Delphes, celui-ci le déclare "le plus sage et le plus savant des hommes". Étonné, Socrate y voit le signe d'une mission divine. Il entame alors une vie de sage ambulant, dispensant sa sagesse au hasard des rues et des rencontres sous forme de dialogues dans lesquels il accouche, tous ceux qui le veulent, de leur vérité.
En 399, après une période de crise politique, il est dénoncé comme impie et corrupteur de la jeunesse. Condamné à mort, il accepte la sentence par fidélité à son éthique civique et refuse de s'évader. Il boit la ciguë avec sérénité tout en réconfortant ses disciples.
Socrate n'a rien écrit, c'est Platon qui l'a immortalisé. Sans doute lui a-t-il prêté beaucoup de ses idées. Néanmoins c'est chez lui, qui a été son disciple pendant huit ans, que Socrate prend son relief le plus profond. Il y apparaît comme un personnage fascinant : épris de beauté quoique laid, naïf et rusé, sobre et sensuel, bouffon et sérieux, doux et violent, terre à terre et idéaliste, religieux et libre penseur, inspiré et lucide, philosophe et poète, simple et génial. Bref, c'est un personnage paradoxal, énigmatique, qui, dans l'obscurité même qui l'entoure, est devenu, à travers sa vie dérangeante et sa mort exemplaire, le héros fondateur de la philosophie, et en Occident, une sorte de père de la communauté des sages. Bref un mythe et un symbole.
On peut aussi le considérer aussi comme le père de la dialectique. Sa pratique du dialogue est aux antipodes du discours des sophistes qui cherche à séduire, à éblouir, à persuader, même au détriment de la vérité. La dialectique socratique brise ces discours qui s'étalent. Elle procède par questions courtes, refuse les effets de style et cherche à convaincre par le recours à une interrogation bien conduite, juste, rigoureuse, ne dogmatisant jamais. Socrate part toujours d'un non-savoir qu'il pose même de façon ironique : "Je ne sais pas, mais toi, tu sais. Voyons ce que tu sais." Le dialogue socratique est une maïeutique, un art d'accoucher les esprits. Socrate, à la différence de Platon, ne s'est pas préoccupé d'idées transcendantes portant sur la réalité ultime de Dieu et du monde. S'il a un souci d'universalité, ce souci est d'ordre éthique : il part toujours de l'homme concret et y revient. Le point de vue moral est dominant chez lui. En ce sens, il est un vrai sage, ne spéculant pas sur l'inconnaissable, mais restant dans les limites humaines d'une raison pratique, bien conduite, cherchant à fonder une vertu menant au bonheur.