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chez Alain Delaye

JEAN DE LA CROIX

Cantique spirituel B

Jean de la Croix - Commentaire du Cantique B 

La seconde version du Cantique spirituel récupère l'essentiel du Cantique A mais en étend l'amplitude à toute la vie spirituelle et en réorganise la structure.



CHANTS ENTRE L'ÂME ET L'ÉPOUX


L'ÉPOUSE


1


Où donc t'es-tu caché,

mon Ami, en me laissant gémissante ?

Comme le cerf tu as fui,

après m'avoir blessée ;

criant je t'ai suivi, tu étais parti !


2


Bergers qui monterez,

là-haut sur la colline, aux bergeries,

si par hasard voyez

celui que j'aime tant,

dites-lui que je languis, peine et meurs.


3


Recherchant mes amours,

je m'en irai par monts et par rivages.

Ni cueillerai les fleurs,

ni ne craindrai les fauves

et passerai les forts et les frontières.


DEMANDE AUX CRÉATURES 


4


O forêts et taillis,

plantés par la main de mon Bien-aimé,

O prairie verdoyante

et de fleurs émaillée,

dites si parmi vous il est passé


RÉPONSE DES CRÉATURES



Répandant mille grâces,

En hâte il est passé par ces bocages.

Les allant regardant,

par sa seule figure,

il les laissa revêtus de beauté.


L'ÉPOUSE



Ah qui me guérira !

Achève de te donner pour de vrai

Ne veuille désormais

mander de messagers

ne sachant me dire ce que je veux.



Tous ceux qui rôdent là

me rapportent de toi mille grâces. 

Et tous plus ils me blessent,

et me laisse mourante

un "je ne sais" qu'ils restent à balbutier.


8


Comment peux-tu durer

O vie, ne vivant pas là où tu vis ? 

Et faisant que tu meures

les traits que tu reçois

de ce qu'en toi de l'ami tu conçois.



Pourquoi, puisque tu as

blessé ce coeur, ne l'as-tu pas soigné ? 

Et me l'ayant ravi

pourquoi l'avoir laissé,

sans emporter ce que tu as volé ?


10


Apaise mes tourments

puisque personne n'y peut mettre fin.

Et que mes yeux te voient

puisque tu es leur lumière

et que je veux pour toi seul les garder.


11


Découvre ta présence

que la vision de ta beauté me tue !

Vois, la douleur d'amour

rien ne peut la guérir

si ce n'est la présence et la figure.


12


O source cristalline,

si au milieu de tes reflets d'argent,

tu modelais soudain

les yeux tant désirés

que je porte en mes entrailles gravés.


13


Ami, détourne-les

voici que je m'envole.


L'ÉPOUX


Reviens colombe,

le cerf qui est blessé

paraît sur la colline

savourant le souffle frais de ton vol.


L'ÉPOUSE


14


Mon aimé, les montagnes,

les vallées solitaires, ombragées,

les îles prodigieuses,

les fleuves au bruit puissant,

le murmure des vents porteurs d'amour.


15


Et la nuit apaisée

qui précède le réveil de l'aurore,

la musique sans bruit,

la retraite sonore,

le souper qui récrée et qui énamoure.


16


Les renards, chassez-les,

car voici déjà notre vigne en fleur

tandis qu'avec des roses

nous ferons une pigne

et que nul ne se montre à la colline.


17


Arrête, bise morte,

viens zéphyr qui réveilles les amours,

souffle par mon jardin,

que courent ses parfums,

et l'aimé mangera parmi les fleurs.


18 


O nymphes de Judée

Tant que sur les fleurs et sur les rosiers

l'ambre exhale un parfum,

restez dans vos quartiers,

à notre seuil, veuillez ne point toucher.


19


Cache-toi, mon ami,

tourne ton visage vers les montagnes

et veuille ne rien dire.

Vois plutôt les compagnes

de celle qui va par d'étranges îles.


L'ÉPOUX


20


O vous, oiseaux légers,

lions, et cerfs et daims qui bondissez,

monts, vallées et rivages,

ondes, souffles, ardeurs, 

et vous, angoisses des nuits d'insomnie,


21


Par les lyres légères

et le chant des sirènes, je vous prie,

que cessent vos colères

Ne touchez pas au mur,

que l'épouse trouve un sommeil plus sûr.


22


Elle est entrée l'épouse

dans le verger aimable et désiré

et à son gré repose,

son cou vient s'incliner

sur la douceur des bras du bien-aimé.


23


Au-dessous du pommier,

comme épouse t'ai prise près de moi,

la main je t'ai donnée

et tu fus réparée

là où ta mère avait été violée.


L'ÉPOUSE


24


Notre couche est fleurie,

de cavernes de lions entourée,

tout de pourpre embellie,

de paix édifiée

d'un millier d'écus d'or couronnée.


25


Sur tes traces lancées, 

les jeunes filles suivent le chemin,

touchées par l'étincelle,

par le vin capiteux

les exhalaisons d'un baume divin.


26


Dans la cave intérieure

de mon ami j'ai bu, quand je sortis

sur toute cette plaine,

je ne savais plus rien

et perdis le troupeau jadis suivi.


27


Là, il m'offrit son coeur,

là, il m'enseigna science savoureuse,

et moi je me donnai

à lui, sans rien garder,

Là, je lui promis d'être son épouse. 


28


Mon âme s'est vouée,

ainsi que tout mon bien à son service.

Je n'ai plus de troupeau

ni aucun autre office,

en l'amour seul est tout mon exercice.


29


Que si au pré public,

on ne peut plus me voir ni me trouver,

dites que suis perdue

qu'allant énamourée,

me suis faite perdante et fus gagnée


30 


De fleurs et d'émeraudes

choisies dans les fraîches matinées,

nous ferons des guirlandes

fleuries en ton amour

et d'un de mes cheveux entrelacées.


31 


Par ce cheveu, sans plus,

que sur mon cou tu regardas voler,

tu le vis sur mon cou

captif il t'a laissé

et à l'un de mes yeux tu t'es blessé.


32


Quand tu me regardais

tes yeux venaient graver leur grâce en moi

c'est pourquoi tu m'aimais

et les miens méritaient

d'adorer tout ce qu'ils voyaient en toi.


33 


Ne me méprise pas,

quoique tu m'aies trouvé la peau foncée.

Tu peux me regarder

puisque tu as laissé

par ton regard sur moi grâce et beauté.


L'ÉPOUX


34


La blanche colombelle,

rameau au bec dans l'arche est retournée.

Déjà la tourterelle,

sur les rivages verts,

a trouvé le compagnon désiré.


35


Vivant en solitude,

en solitude elle a posé son nid.

Solitaire la guide,

seul à seule l'ami,

blessé d'amour aussi en solitude


L'ÉPOUSE


36


Ami, soyons en joie,

allons tous deux nous voir en ta beauté,

au mont, à la colline 

où l'eau pure jaillit.

Pénétrons plus profond dans les fourrés.


37


Nous monterons ensuite

vers les hautes cavernes de la pierre

qui sont si bien cachées 

et là nous entrerons

et le jus des grenades goûterons.


38


Là tu me montrerais

ce que mon âme désirait si fort,

puis tu me donnerais,

là, toi qui es ma vie

cela que l'autre jour tu m'as donné.


39


L'aspiration de l'air

la chanson de la douce philomèle,

le bocage et sa grâce,

parmi la nuit sereine,

la flamme qui consume et plus ne peine.


40 


Or nul ne regardait

Aminadab non plus n'apparaissait,

le siège s'apaisait

et la cavalerie

à la vue des eaux descendait la rive.