A L’ÉCOUTE DES SAGES
JEAN DE LA CROIX
L'âme doit plutôt connaître Dieu par ce qu'il n'est pas que par ce qu'il est, c'est pourquoi elle doit aller à lui en laissant complètement de côté ses connaissances tant naturelles que surnaturelles. Elle doit tirer la mémoire hors de ses limites et l'élever au-dessus de toute connaissance particulière, la désencombrer et la plonger dans l'oubli de toutes choses, en la souveraine espérance de Dieu incompréhensible.
Dieu n'a point de forme, ni d'image qui puisse être comprise par la mémoire, de là vient que quand l'âme est unie avec Dieu elle demeure sans forme et sans figure, l'imagination perdue et la mémoire plongée dans un souverain bien, en grand oubli, sans se souvenir de rien.
Vous me direz peut-être que l'âme ne pourra pas vider et priver la mémoire de toutes les formes et images. Je dis que c'est la vérité, que Dieu doit la mettre en cet état surnaturel ; mais qu'aussi elle doit s'y disposer autant qu'il lui est possible. L'âme prendra donc la précaution en toutes les choses qu'elle entendra, verra, sentira, goûtera ou touchera, de n'en faire de registre ni de réserve en la mémoire, mais elle les laissera aussitôt oublier laissant la mémoire libre et désembarrassée.
Toutefois, l'âme doit penser et se souvenir des choses qu'elle doit faire ou savoir ; car, pourvu qu'elle ne s'y attache pas, elles ne lui nuiront pas. Quant aux images sacrées qui nous aident à nous souvenir de Dieu et des saints, elles sont bonnes à regarder à condition que l'on se souvienne que ce sont des images et non la réalité, des moyens et non une fin et qu'on laisse voler l'âme de la peinture au Dieu vivant, en oubli de toute créature.
Et ainsi, à mesure qu'elle entre pour sa part en cette négation et vide de formes, Dieu l'introduit dans l'union. Parfois, quand Dieu fait ces touches d'union dans la mémoire, subitement, il se produit dans le cerveau - qui est le lieu où elle a son siège - un chavirement si sensible, qu'il semble que toute la tête s'évanouisse et que le jugement et le sens se perdent... et alors, à cause de cette union, la mémoire se vide et se purge de toutes les connaissances et elle demeure dans un grand oubli... mais lorsque l'âme est parvenue à l'habitude de l'union, elle n'a plus ces oublis, au contraire, dans les opérations convenables et nécessaires, elle est bien plus parfaite, car c'est Dieu qui agit en elle. L'Esprit de Dieu lui fait alors savoir ce qu'elle doit savoir et ignorer ce qu'il faut ignorer, et se souvenir de ce dont elle doit se souvenir avec formes et sans formes, et oublier ce qui est à oublier. Et ainsi tous les premiers mouvements des facultés de ces âmes sont divins.
En bref, il vaut mieux apprendre à mettre les facultés en silence et les accoutumer à se taire afin que Dieu parle. Que la mémoire se taise et soit muette et que seulement l'ouïe de l'esprit soit en silence, tendue à Dieu, disant avec le prophète : "Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute".
Montée du Carmel, ch. I et s.(Desclée de Brouwer)
APERÇU BIOGRAPHIQUE
Jean de Yépès naît en 1542 à Fontiveros, une bourgade entre Avila et Salamanque. Troisième enfant d'un noble castillan, Gonzalo de Yépès, et d'une femme de condition modeste, Catalina Alvarez, il connaît, suite à cette mésalliance, une enfance pauvre. Remarqué pour sa soif d'études et sa piété, il entre en 1563 chez les carmes de Medina del Campo sous le nom de Jean de saint Mathias. Il a alors vingt et un ans.
En 1564, on l'envoie à l'université de Salamanque faire des études en vue de la prêtrise. Il y séjourne jusqu'en 1568, y apprend la philosophie et la théologie, mais devient aussi familier de la Bible, de la poésie espagnole et des écrits mystiques du Pseudo Denys. À la fin de ses études, le mode de vie mitigé des carmes ne lui suffisant plus, il envisage de se faire chartreux.
Ordonné le 8 septembre 1567, il rencontre alors Thérèse d'Avila qui le décide de collaborer à sa réforme du Carmel. En octobre 1568, il participe à Duruelo, à la première fondation des carmes déchaux, sous le nouveau nom de Jean de la Croix. Nous le trouvons ensuite à Mancera, à Pastrana, puis à Alcala, comme recteur, et à Avila, comme aumônier du couvent de l'Incarnation d'où venait Ste Thérèse. Commence alors entre les carmes chaussés et déchaux une lutte sourde et prolongée qui débouche pour lui sur une dure captivité.
Durant les premiers jours de décembre 1577, il est enlevé à Avila et conduit les yeux bandés au couvent des carmes chaussés de Tolède où on l'enferme dans un cachot. Quotidiennement humilié et publiquement fouetté, il refuse pourtant de renier la Réforme. Au bout de 9 mois, le 16 août 1578, il s'évade et aboutit chez les carmélites réformées qui le cachent dans leur clôture. Cette période d'épreuve fut aussi celle du Cantique spirituel, appris par coeur au fur et à mesure de sa composition car il n'avait rien pour écrire dans son cachot.
Les déchaux ayant été finalement constitués en province autonome, Jean de la Croix se retrouve en octobre 1578 prieur du Calvario, en Andalousie, d'où il dirige en même temps les carmélites de Beas et où il commence à rédiger ses traités, en particulier celui du Cantique. En juin 1579, il fonde le collège carmélitain de Baëza et en est nommé recteur. En janvier 1582, il est nommé prieur du carmel de Grenade et y achève la rédaction de ses grands traités : la Montée du Carmel, la Nuit obscure et la Vive Flamme d'amour. Il y sera réélu trois fois.
En 1585, un nouveau général, Nicolas Doria, est élu à la tête des carmes déchaux. Jean de la Croix se trouve alors en opposition avec celui-ci qui veut remodeler la Réforme thérésienne dans un esprit d'observance légaliste. De 1585 à 1588, son temps est ponctué de voyages, de fondations et de chapitres.
En mai 1591, il est nommé provincial du Mexique, mais Doria casse son élection et, le dépouillant de toutes charges et dignités, le relègue au désert de la Penuela. Sa santé y périclite. Atteint d'ulcères et de plaies, il est finalement déplacé, en septembre, au couvent d'Ubeda. Le prieur et une sorte d'enquêteur (Diego Evangelista) s'emploient alors à l'humilier et cherchent à le faire chasser de l'Ordre. Il meurt là à minuit, le 13 décembre 1591, après avoir annoncé qu'il chanterait matines au ciel. Il a 49 ans.
Comme toute biographie, celle-ci, de plus trop courte et trop sèche, ne donne que la coquille d'une existence dont la densité mystique fut d'une richesse étonnante.Il faut lire les oeuvres de Jean de la Croix pour s'en rendre compte.
L'OEUVRE
Elle comprend des poèmes et des textes en prose. Parmi les poèmes, trois grands textes se détachent : la Nuit obscure, le Cantique spirituel et la Vive flamme d’amour. Ces trois poèmes ont été commentés par Jean de la Croix. Le poème de la Nuit dans la Montée du Carmel et le traité de la Nuit obscure ; le Cantique spirituel dans un commentaire dont nous connaissons deux versions : le Cantique A et le Cantique B, et la Vive Flamme d'amour dans un commentaire unique (en fait deux versions très proches).
A côté de ces grands poèmes commentés on trouve aussi dans l'oeuvre de Jean de la Croix d'autres poèmes, des lettres, des maximes et de petits opuscules donnant des conseils pour la vie spirituelle.
- La Montée du Carmel (Seuil - 1995).
- La Nuit obscure (Seuil - 1984). Coll. Points sagesse.
- Le Cantique spirituel (Seuil - 1995). Coll. Points sagesse.
- La Vive Flamme (Seuil - 1995). Coll. Points sagesse.
- Oeuvres spirituelles (Seuil - 1947).
Il s'agit là des oeuvres complètes.
- Nuit Obscure, Cantique spirituel et autres poèmes (Gallimard - 1997).
Les poèmes ont fait l'objet d'interprétations musicales. Parmi elles émergent :
- Amancio Prada, Canciones del alma, sobre textos de san Juan de la Cruz (coleccion Lcd El europeo). 52 PM. Prod. Camaina. Avec un excellent livret trilingue (espagnol, français, anglais).
- Vicente Pradal, La Nuit Obscure, san Juan de la Cruz (Éditions : Scipion/Delabel).
JÉSUS DE NAZARETH
Heureux les pauvres en esprit,
car le Royaume des cieux est à eux,
Heureux les doux,
car ils auront la terre en partage.
Heureux les affligés,
car ils seront consolés,
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice,
car ils seront rassasiés,
Heureux les miséricordieux,
car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les coeurs purs,
car ils verront Dieu,
Heureux les artisans de paix,
car ils seront appelés fils de Dieu,
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice,
car le Royaume des cieux est à eux.
Vous avez appris qu'il a été dit : "Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes... Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait."
Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez... Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit... Observez les lis des champs, comme ils poussent : ils ne peinent ni ne filent, et je vous le dis, Salomon lui-même dans toute sa gloire, n'a jamais été vêtu comme l'un d'eux... Ne vous inquiétez donc pas en disant : Qu'allons-nous manger ? Qu'allons-nous boire ? De quoi allons-nous nous vêtir ?... Cherchez d'abord le Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : demain s'inquiétera de lui-même. À chaque jour suffit sa peine.
Les disciples s'approchèrent de Jésus et lui dirent : "Qui donc est le plus grand dans le Royaume des cieux ?" Appelant un enfant, il le plaça au milieu d'eux et dit : "En vérité, je vous le déclare, si vous ne changez et ne devenez comme les enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. Celui-là donc qui se fera petit comme cet enfant, voilà le plus grand dans le Royaume des cieux."
Un pharisien lui demanda pour l'embarrasser : "Maître, quel est le plus grand commandement de la Loi ?" Jésus lui répondit : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C'est là le plus grand, le premier commandement. Un second est aussi important : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements découlent toute la Loi et les prophètes."
Evangile de Matthieu chapitres 5 à 7, 18 et 22
APERÇU BIOGRAPHIQUE
Jésus est né sous le règne d'Hérode, quelques années avant notre ère. L'évangile de Luc place sa naissance à Bethléem, mais ses compatriotes le pensaient originaire de Nazareth, bourgade de Galilée. On ignore tout de son enfance et de son adolescence, sinon qu'il était le fils de Joseph le charpentier et de Marie. Sa véritable histoire débute pour nous à l'âge adulte (environ 30 ans). C'est alors qu'il se fait baptiser par Jean le Baptiste au bord du Jourdain et commence à enseigner.
Après une retraite au désert, comme les anciens prophètes, il se met à prêcher dans le bourg de Galilée et sur les bords du lac de Génézareth. C'est là qu'il s'entoure de ses premiers disciples, bientôt au nombre de douze. Sa prédication s'étale sur au moins deux ans (suivant l'évangile de Jean) et s'émaille de plusieurs montées à Jérusalem à l'occasion de diverses fêtes. Il enseigne sans discrimination toutes les catégories sociales et opère parmi le peuple de nombreuses guérisons, annonçant la venue imminente du Royaume de Dieu et même sa présence déjà effective. Il appelle Dieu "mon Père" et apprend à ses disciples à faire de même.
Durant son séjour en Judée, des conflits commencent à naître avec les pouvoirs religieux en place. Ils finissent par déboucher sur son arrestation et sa crucifixion par les Romains, sollicités de le mettre à mort comme agitateur (il s'est dit le roi des juifs). Sa crucifixion a lieu la veille de la Pâque, aux alentours de l'an 30. Mais ses disciples, qui l'ont abandonné le jour du drame, commencent, quelques jours plus tard, à témoigner de sa résurrection.
Ces quelques textes et ce résumé d'une vie elle-même assez brève, ne donne pas la mesure de la personnalité et de l'enseignement de Jésus. Pour en avoir une idée, la lecture des évangiles s'avère indispensable.
ALEXANDRE JOLLIEN
Qui adopte la légèreté, subtil antidote au désespoir, devine que la souffrance ne fait pas que vivre des saints ou des sages. Devenir léger, c'est accepter humblement le sort après avoir tout tenté pour éradiquer son ombre, affirmer une résistance là où priment la révolte et la colère, c'est refuser que la rage ou la haine viennent aliéner la liberté. Être léger, c'est donc recourir à la joie contre ce qui aigrit, contre ce qui isole, épauler celui qui souffre pour qu'il ne se claquemure pas dans son mal-être. La légèreté va contre, elle contre ce qui rétrécit.
Fécondée par autrui, elle peut s'incarner dans le sourire ou la poignée de main que deux compagnons d'infortune partagent pour chasser le désespoir. Elle inspire les paroles d'encouragement, se propage dans l'humour salvateur, libère celui qui lutte contre le désarroi, elle se réjouit du plus infime progrès et ignore le ressentiment qui ne tarde pas à engendrer le mépris de ses semblables. Il est fort délicat de conserver de la confiance, de maintenir un rapport à soi serein lorsque la maladie, le désespoir s'installent ; bientôt, avec le mal, c'est la vie tout entière qu'on haïra. En dépit des envieux, des grincheux ou des vengeurs, l'adepte de la légèreté relève donc le défi d'accueillir l'existence, de l'embellir chaque jour. Sur son chemin, la présence de l'autre consolide sa persévérance. Dès lors, pour assumer une difficulté qui désarme, il s'ouvre et consent à trouver une aide, à risquer la rencontre.
Sacré métier d'homme, je dois être capable de combattre joyeusement sans jamais perdre de vue ma vulnérabilité ni l'extrême précarité de ma condition. Je dois inventer chacun de mes pas et, fort de ma faiblesse, tout mettre en oeuvre pour trouver les ressources d'une lutte qui, je le pressens bien, me dépasse sans toutefois m'anéantir.
Le tragique de l'existence rappelle qu'il faut célébrer les occasions de jubiler et de faire jubiler. Offrir la joie là où s'imposent d'aventure la pitié et la tristesse. Lutter pour la vie, ne pas macérer dans le mépris. S'appuyer sur les mille petites joies de notre condition. Le métier d'homme, sujet grave, austère parfois, réclame donc un engagement constant, une légèreté qui veut jeter un regard neuf sur le monde. Regard dépouillé de tout artifice, de toutes règles, sauf, peut-être, le précepte de Chamfort : "la plus perdue de toutes les journées est celle où l'on n'a pas ri." Le rire devient ici, avec la joie, l'arme que l'on oppose au découragement. A la différence de la moquerie, le rire rassemble, réunit, rend plus fort.
Ultime audace, le rire brise la routine et met à distance l'épreuve. La vie devient douce grâce à l'humour. Rire et combattre sauvent nos vies. Et si les deux allaient de pair, s'ils ne pouvaient se passer l'un de l'autre ?
Devant l'effort, lorsque tout réclame un labeur insensé, une seule certitude persiste donc : contre tout, avec humour, l'appel du métier d'homme se fait insistant. Au combat donc, car tout est à bâtir avec légèreté et joie !
Extrait de l'ouvrage Le métier d'homme (Seuil - 2006).
APERÇU BIOGRAPHIQUE
Alexandre Jollien a subi un accident à la naissance. Strangulé par son cordon ombilical, il a manqué d'oxygène et a connu un handicap cérébro-moteur. Suite à cela il a passé dix-sept-ans dans une institution pour personnes handicapées qui furent pour lui un long combat afin de trouver un minimum d'autonomie et surtout une liberté d'esprit. Épaulé par une famille attentive et quelques fortes amitiés, il put ensuite entreprendre des études de philosophie et se trouve être aujourd'hui un auteur lu et un conférencier écouté.
L'OEUVRE
A ce jour, Alexandre Jollien a publié : - Éloge de la faiblesse (Cerf - 1999) : son premier livre qui raconte son parcours de combattant, ouvrage couronné par l'Académie française.
- Le Métier d'homme (Seuil - 2002) d'où est extrait le texte que nous donnons et qui a connu un vif succès.
- La construction de soi (Seuil - 2006), où il propose un dialogue intérieur sous la forme d'une correspondance adressée à Dame philosophie.
- Le philosophe nu (Seuil, 2010)
- Petit traité de l’abandon (Seuil 2012)
- Trois amis en quête de sagesse (avec Matthieu Ricard et Christophe André) (L’Iconoclaste-Allary, 2016)
- La sagesse espiègle (Gallimard 2018)
- A nous la liberté (avec Christophe André et Matthieu Ricard) (L’Iconoclaste-Allary, 2019)
STEPHEN JOURDAIN
Toute la vision de la pensée est la vision d'un oeil de verre. Quand la conscience pure se dévoile à elle-même, telle est l'incroyable découverte qui l'attend.
La conscience est cette lumière immatérielle qui révèle à lui-même notre être intérieur, cette miraculeuse transparence à soi de notre présence.
Par ailleurs, toucher son moi le plus vrai, le plus profond, c'est accéder intuitivement, de façon parfaite, à l'universalité évidente de l'âme humaine. Je ne suis pas une singularité fermée. Ce qu'en esprit, je vis personnellement, quand bien même avec raison je jugerais qu'il s'agit d'un événement rarissime, est, en droit, accessible à tout esprit. Je puis donc être entendu.
Notre visage se ride, pas notre âme, pas notre moi essentiel. Notre être intérieur est éternellement naissant. Toute chose par essence, est commençante. C'est toujours la première fois. Il n'est d'autre lumière que celle de l'aube.
Dans le faux monde, on ne rencontre que des arcs de triomphe. Quand cet ersatz se fendille et tombe, d'un seul coup, comme une écorce, la vraie grandeur est atteinte : ne subsistent plus que les petites choses insignifiantes... Et toute la grandeur de Dieu flambe dans cette humilité !
Ce matin-là (le matin de l'éveil), tous les géants furent balayés, il ne resta que les nains, il ne resta que les petites choses. Ce matin-là, l'orgueil fut dévasté ! l'orgueil est bruyant, j'éprouvais l'impression de respirer l'extase muette d'une averse de neige. Je me dis que j'étais de retour à la maison.
L'éveil est l'accession à la réalité infinie de l'âme... L'éveil ne fait aucune différence de valeur entre le discours, même sain, droit, sur l'éveil et la pratique de la pêche à la ligne. L'éveil se fiche éperdument de la forme de nos actions et, je vais vous scandaliser, de leur valeur morale.
Je suis en train de naître... Adieu les rôles et les engageantes situations. Adieu les choses concernantes, les obligations. Si je suis père, compagnon ou ami, je suis avant tout libre, libre, absolument libre de n'être rien, rien, absolument rien. Conscience seulement ! Mon seul devoir est d'être, rien que d'être. Et en plus j'ai le droit de jouer.
Les regards sont sans importance. De toute façon, ces regards ne me voient pas. Il y a ce qui est. Ce qui est, est. Il n'y a pas quelque chose observant ce qui est : ce quelque chose n'a simplement pas d'existence.
Je suis tombé éperdument amoureux de l'anonymat. Être rien et non référencé, non catalogué. Dire pour la joie de dire, être pour être, rien d'autre... Je suis et en mon sein une histoire est contée.
Qu'est-ce que l'éveil ? C'est éprouver toujours - moi, personnellement, à l'instant - dans l'ébullition éruptive du mouvement de vie, qu'il n'y a que de la lumière et de l'amour. "Âme agréante et agréée" dit la tradition persane.
Voyage au centre de soi (Ed. Accarias L’Originel 2000)
L'OEUVRE
A l'âge de seize ans Stephen Joudain connut l'éveil. Il en témoigne depuis, et ce témoignage a pris littérairement forme à partir de 1990.
Il est décédé en février 2009.
- Première personne (Les Deux Océans - 1990).
- L'irrévérence de l'éveil (co-auteur, Gilles Farcet) (Éditions du Relié - 1992).
- L'illumination sauvage (Dervy - 1994).
- Cahiers d'éveil I (1995) et II (1997) (Éditions du Relié).
- L'autre rivage (Dervy - 1997)
- Une promptitude céleste (Éditions du Relié - 2000).
- Voyage au centre de soi (Éditions Accarias - L'Originel - 2000).
- Moi, l’évidence perdue (Accarias L’Originel, 2002)
- La bienheureuse solitude de l’âme (Accarias L’Originel, 2003)
- Ambre : chroniques aquarelles d’un zénith de l’amour, préface de Gilles Farcet (Accarias l’Originel, 2008)