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chez Alain Delaye

JEAN DE LA CROIX

Fin du commentaire du Cantique spirituel B

Jean de la Croix - Cantique Spirituel B

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STROPHE 30


REMARQUE 

L'épouse, au jour de ses noces, ne songe qu'à la fête qui se célèbre et aux joies de l'amour. Elle exhibe tous ses joyaux, fait ressortir toutes ses grâces, afin de plaire et d'agréer à son époux. Celui-ci, de son côté, fait paraître ses richesses et ses excellences, afin de la fêter et de lui être agréable... Les deux époux mettent en commun leurs trésors et leurs joies, et le vin d'un délicieux amour leur est versé dans l'Esprit saint. 


De fleurs et d'émeraudes
choisies dans les fraîches matinées,
nous ferons des guirlandes
fleuries en ton amour
et d'un de mes cheveux entrelacées.


EXPLICATION 

L'épouse reprend l'entretien avec son époux dans l'intimité, la familiarité de l'amour. Elle parle des joies et des délices dont ils jouissent ensemble, dans la possession du trésor commun que forment les vertus acquises par l'âme et les dons, présents de l'époux. 


De fleurs et d'émeraudes 


Les fleurs sont les vertus de l'âme ; les émeraudes sont les dons qu'elle a reçus de Dieu. 


choisies dans les fraîches matinées, 


C'est-à-dire gagnées et acquises pendant les années de la jeunesse, qui sont les fraîches matinées de la vie. 


On peut entendre aussi par les fraîches matinées les actes d'amour au moyen desquels s'acquièrent les vertus, actes qui ont autant de charmes pour Dieu que les fraîches matinées en ont pour les enfants des hommes. 


Ou encore les oeuvres accomplies au temps de la sécheresse et des épreuves spirituelles, représentées par le froid des matinées d'hiver. 


nous ferons des guirlandes 


Les vertus et les dons qui sont le bien de Dieu et de l'âme, forment en celle-ci comme une guirlande de diverses fleurs, qui l'embellit merveilleusement, ainsi que ferait un vêtement richement brodé. 


L'âme ne dit pas : je ferai des guirlandes, ni : tu les feras, mais : nous les ferons ensemble. Elle ne peut en effet acquérir ni pratiquer les vertus seule et sans l'aide De Dieu. Par ailleurs, Dieu ne les mets pas en elle sans sa participation. 


Mais les guirlandes peuvent aussi s'entendre de toutes les âmes saintes que l'Église engendre au Christ. 


fleuries en ton amour 


Que les oeuvres et les vertus soient fleuries signifie la grâce que l'amour de Dieu leur communique. 


et d'un de mes cheveux entrelacées. 


Le cheveu dont il est ici question est l'amour qu'elle porte au Bien-aimé et qui remplit le même office que le fil dans la guirlande... Saint Paul nous le dit : "La charité est le lien de la perfection." (Col 3, 14) . 


L'épouse parle d'un cheveu et non de plusieurs, pour nous donner à entendre que sa volonté est uniquement à Dieu, dégagée de tous les autres cheveux, c'est-à-dire de toutes les affections étrangères à Dieu. Par où elle relève magnifiquement la valeur de cette guirlande des vertus, car lorsque l'amour est uniquement, inébranlablement fixé en Dieu, les vertus, par là même, sont parfaites et consommées. 


On notera dans cette strophe l'insistance de Jean de la Croix pour faire des oeuvres et des vertus de l'âme un bien commun à elle et à Dieu. En fait, ces vertus sont pour lui le reflet des attributs de Dieu dont elles tirent existence et beauté. Faire l'éloge des vertus de l'âme, c'est faire celui des grandeurs de Dieu.


STROPHE 31


REMARQUE 

Le fil de l'amour a uni l'âme à Dieu si étroitement qu'il s'est fait une transformation et que tous deux ne font plus qu'un par l'amour... Cette union est merveilleuse et dépasse tout ce qu'on en peut dire ! .. Dieu est ici l'amant principal, qui, par la toute-puissance d'un amour abyssal, absorbe l'âme en soi, avec plus de force et d'efficacité que ne fait un torrent de feu pour une goutte de la rosée du matin, qui vole en s'évanouissant dans l'atmosphère. 


Le cheveu qui opère une telle union doit assurément être bien fort et bien délié, puisqu'il pénètre si puissamment les parties qu'il relie ensemble.


Par ce cheveu, sans plus,
que sur mon cou tu regardas voler,
tu le vis sur mon cou
captif il t'a laissé
et à l'un de mes yeux tu t'es blessé.


EXPLICATION 

L'âme déclare trois choses dans cette strophe : 


1) Cet amour qui soutient les vertus ne peut être qu'un amour fort. 


2) Dieu est fortement épris de ce cheveu d'amour. 


3) il s'éprend de l'âme quand il voit la pureté et l'intégrité de sa foi. 


Par ce cheveu, sans plus,
que sur mon cou tu regardas voler, 


Le cou représente la force. Quand l'âme nous dit que le cheveu d'amour qui enlace les vertus volait sur son cou, elle veut dire que cet amour était fort. 


L'âme dit que ce cheveu volait sur son cou, parce que l'amour d'une âme forte et généreuse s'élance vers Dieu avec vigueur et agilité, sans se divertir à rien de créé. 


En disant que son Bien-aimé considérait ce cheveu qui volait sur son coeur, elle indique l'affection que Dieu porte à l'amour fort. 


tu le vis sur mon cou 


Si Dieu estime et apprécie l'amour solitaire, il s'éprend d'affection pour lui lorsqu'il le voit généreux et fort. 


captif il t'a laissé 


Merveille digne de notre admiration et de notre allégresse qu'un Dieu soit retenu prisonnier par un cheveu ! La raison de cette capture infiniment précieuse, c'est que Dieu s'est arrêté à regarder ce cheveu qui volait sur le cou de l'épouse, car le regard de Dieu, c'est son amour. 


et à l'un de mes yeux tu t'es blessé. 


L'oeil représente ici la foi. Il n'est parlé que d'un oeil et il est dit qu'il fit une blessure... ainsi l'oeil qui blesse d'amour le Bien-aimé doit être unique, comme le cheveu qui le retient prisonnier... L'Époux des Cantiques parle, lui aussi, de l'oeil et du cheveu de son épouse : "Tu as blessé mon coeur, ma soeur, mon épouse, tu as blessé mon coeur d'un seul de tes yeux et d'un cheveu de ton cou." (Ct 4,9) . 


Jean de la Croix met ici l'accent sur la force de l'amour et la pureté de la foi de l'âme arrivée au mariage spirituel. Foi et amour sans partage sont les deux vertus qui séduisent, capturent et blessent Dieu. Ce sont elles qui rendent l'union possible et effective.


STROPHE 32


REMARQUE 

Notre Dieu est ainsi fait que si on sait le prendre par l'amour, on en fait tout ce qu'on veut. Autrement, il n'y a ni effort ni discours qui vaille.

Quand tu me regardais
tes yeux venaient graver leur grâce en moi
c'est pourquoi tu m'aimais
et les miens méritaient
d'adorer tout ce qu'ils voyaient en toi.


EXPLICATION 

Le propre de l'amour parfait est de ne rien s'attribuer, de ne rien s'approprier, mais de tout renvoyer au Bien-aimé... Dans les deux strophes précédentes, l'épouse a semblé s'attribuer quelque chose à elle-même... Dans la présente, elle nous explique dans quel sens elle a parlé et veut écarter tout malentendu... Elle lui renvoie donc tout le mérite de ses oeuvres et lui exprime en même temps sa gratitude. Elle déclare que si elle l'a retenu prisonnier par le cheveu de son amour, si elle l'a blessé par l'oeil de sa foi, c'est qu'il lui a fait la grâce de la regarder amoureusement, ce qui l'a rendue agréable et gracieuse à ses yeux. 


Quand tu me regardais 


C'est-à-dire, tandis que tu me regardais avec amour, car, le regard de Dieu, c'est son amour. 


tes yeux venaient graver leur grâce en moi 


Par les yeux de l'Époux, l'âme entend sa divinité miséricordieuse qui imprime et verse en elle son amour et sa grâce... la rendant participante de la divinité elle-même. 


c'est pourquoi tu m'aimais 


II faut noter ici que Dieu n'aime rien hors de lui, avec plus de force que lui-même, parce qu'il aime toutes choses à cause de lui-même. L'amour qu'il se porte à lui-même étant la raison de celui qu'il porte à ses créatures... Pour Dieu, aimer l'âme c'est la placer en quelque sorte en lui-même, l'égaler en quelque manière à lui-même. II l'aime alors en lui-même, avec lui-même et du même amour dont il s'aime. 


et les miens méritaient
d'adorer tout ce qu'ils voyaient en toi. 


C'est comme si elle disait : mes facultés, ô mon époux, qui sont comme les yeux avec lesquels je puis te contempler, ont mérité de porter sur toi leurs regards. 


Que voient-elles donc en Dieu ? Elles voient une sublimité de perfections, une abondance de suavité, une immensité de bonté, d'amour et de miséricorde, des bienfaits sans nombre reçus, soit depuis qu'elle est si étroitement unie à Dieu, soit avant qu'elle le fût. 


Dieu aime donc l'âme parce que transformée par son regard, son amour, sa grâce, elle est devenue elle-même aimante, semblable à lui qui est amour. Rendue participante de la nature de Dieu, devenue son égale, elle est devenue comme lui éminemment aimable, source et sujet d'amour.


STROPHE 33


REMARQUE 

Le regard de Dieu gratifie l'âme de quatre précieux avantages : il la purifie, la rend agréable à ses yeux, l'enrichit et l'éclaire. 


L'âme, se souvenant de toutes les miséricordes dont elle a été l'objet et se voyant unie à l'Époux, se sent, en présence d'une dignité si haute, transportée de bonheur ; elle se réjouit dans l'amour et la reconnaissance, et le souvenir même de l'état où elle s'est trouvée au temps où elle était indigne du regard de son Dieu, vient encore ajouter à sa joie.


Ne me méprise pas,
quoique tu m'aies trouvé la peau foncée.
Tu peux me regarder
puisque tu as laissé
par ton regard sur moi grâce et beauté.


EXPLICATION 

L'épouse ici se glorifie des dons et de la valeur que lui a conférés son Bien-aimé, mais uniquement parce qu'elle les tient de lui... Autrefois, il est vrai, elle ne méritait  rien... mais à présent qu'il a bien voulu une première fois arrêter sur elle son regard, et que par là il l'a enrichie de sa grâce, revêtue de sa propre beauté, il peut bien la regarder une seconde fois, plusieurs fois même, et augmenter ainsi ses charmes, sa beauté.


Ne me méprise pas,
quoique tu m'aies trouvé la peau foncée.
Tu peux me regarder
puisque tu as laissé
par ton regard sur moi grâce et beauté.


En d'autres termes, je puis maintenant être regardée, je mérite de l'être et de recevoir de ton regard un accroissement de grâce, puisqu'une première fois non seulement il m'a enlevé mon teint foncé, mais encore m'a rendue digne d'être vue. 

Jean de la Croix donne ici la source d'inspiration de sa strophe : "Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem, aussi le roi m'a aimée et m'a fait entrer dans sa chambre nuptiale." (Ct 1, 5+3 ) Il conclut : 


Assurément, mon Dieu, tu peux couvrir de ton regard et de ta prédilection l'âme sur laquelle tu arrêtes ta vue, puisque ton regard lui communique une valeur et des charmes qui méritent ton amour.


STROPHE 34


REMARQUE 

Jean de la Croix donne ici la source de sa nouvelle strophe : "Tu es belle, ma bien-aimée, tu es belle ! Tes yeux sont des yeux de colombe." Et elle lui répond : "Tu es beau, mon Bien-aimé, tu es charmant." (Ct 1,15-16) 


Alors que dans la strophe précédente l'âme s'était rabaissée en regard de la beauté de son Époux, celui-ci s'emploie ici à la relever et à la mettre en valeur. 


La blanche colombelle,
rameau au bec dans l'arche est retournée.
Déjà la tourterelle,
sur les rivages verts,
a trouvé le compagnon désiré.


EXPLICATION 

C'est l'Époux qui parle dans cette strophe. Il chante la pureté dont l'épouse est revêtue dans ce nouvel état, les richesses et les récompenses dont elle est entrée en possession... le rafraîchissement et les délices qu'elle goûte en lui, maintenant qu'ont pris fin les épreuves précédentes. 


La blanche colombelle, 


Le nom de colombe est celui qu'emploient les Cantiques (Ct 2,10) pour marquer la simplicité et la douceur de l'épouse, en même temps que son amoureuse contemplation. 


rameau au bec dans l'arche est retournée. 


L'Époux compare l'âme à la colombe de l'arche de Noé ; il assimile le va-et-vient de cette colombe aux vicissitudes par où l'âme a passé... Elle allait et venait, emportée par le vent de ses amoureuses anxiétés et s'efforçait d'entrer dans l'arche du sein de son Créateur, sans que celui-ci la lui ouvrît définitivement. Vint le jour où Dieu ayant arrêté le déluge des imperfections sur la terre de son coeur, elle est entrée, avec le rameau d'olivier, symbole de la victoire remportée sur toutes les choses créées. 


Déjà la tourterelle,
sur les rivages verts,
a trouvé le compagnon désiré. 


L'Époux donne encore à l'âme le nom de tourterelle parce, dans la recherche de son Bien-aimé, elle a imité la tourterelle en quête du compagnon qu'elle désire. La tourterelle, tant qu'elle n'a pas trouvé son compagnon, ne se pose pas sur un rameau vert, ne boit pas d'eau pure et fraîche, ne se met pas à l'ombre, évite toute compagnie ; mais lorsqu'elle a pu le joindre, alors elle prend tous ces soulagements. 


De même, cette âme, pour atteindre un état aussi élevé, a cherché son Bien-aimé avec un ardent amour, n'a pris aucun satisfaction hors de lui. Aussi l'Époux lui-même chante ici la fin de ses souffrances et la réalisation de ses désirs... Ce qui revient à dire que l'âme épouse se pose sur le rameau vert en prenant ses délices dans son Bien-aimé, qu'elle boit à présent l'eau pure d'une très haute contemplation et de la Sagesse de Dieu... De cela, l'épouse des Cantiques se félicite aussi en disant : "Je me suis reposée à l'ombre de celui que j'avais désiré et son fruit est doux à mon palais." (Ct 2,3)


STROPHE 35


REMARQUE 

L'Époux continue à exprimer sa joie du bonheur obtenu par l'épouse. Ce bonheur, qu'elle a obtenue au moyen de la solitude où elle a voulu vivre, consiste dans une paix pleine de stabilité. En effet, quand une âme s'est affermie dans le repos de l'amour unique et solitaire de l'Époux... elle n'a plus besoin d'intermédiaires ni de maîtres spirituels pour la guider vers lui.

Vivant en solitude,
en solitude elle a posé son nid.
Solitaire la guide,
seul à seule l'ami,
blessé d'amour aussi en solitude.


EXPLICATION 

L'Époux fait deux choses dans cette strophe : d'abord il loue la solitude dans laquelle l'âme a voulu vivre, il dit comment, par cette voie, elle a rencontré son Bien-aimé et comment elle jouit de sa présence à l'abri de toute les peines et de toutes les afflictions qui l'avaient tourmentée. 


Ensuite, comme elle s'est volontairement séparée de tout le créé pour l'amour de son Amant, lui, épris d'amour pour elle... l'a entourée de ses soins, l'a reçue dans ses bras... a guidé son esprit jusqu'aux sublimes hauteurs de Dieu. 


Vivant en solitude, 


La tourterelle, c'est-à-dire l'âme, vivait en solitude avant de rencontrer le Bien-aimé dans l'état d'union. En effet, pour une âme qui aspire à Dieu, il n'est point d'agréable compagnie... la société ne fait que rendre son isolement plus sensible. 


en solitude elle a posé son nid. 


Elle vivait auparavant au désert dans l'effort et l'angoisse, parce qu'elle n'était pas encore parfaite ; maintenant elle y trouve rafraîchissement et repos. 


Solitaire la guide, 


Dans cette séparation de tout le créé, où l'âme se trouve seule avec Dieu, lui-même la guide, la meut et l'élève aux choses divines... En effet, dès que l'âme dégage ses facultés, quelle les vide de tous les objets d'en bas, qu'elle les affranchit de toute propriété par rapport aux biens d'en haut, en un mot qu'elle les place en solitude entière, Dieu sans délai les applique à l'invisible et au divin. 


Solitaire la guide,
seul à seule l'ami, 


Son Bien-aimé la guide dans sa solitude, mais encore opère seul en elle, sans aucun intermédiaire. 


L'âme s'est plongée dans le vide de toutes choses, elle s'est élevée au-dessus de toutes choses : rien ne peut plus l'aider à monter plus haut, si ce n'est le Verbe lui-même, son époux. 


blessé d'amour aussi en solitude. 


C'est-à-dire, blessé d'amour pour l'épouse... en voyant que, blessée d'amour pour lui, elle s'est volontairement retirée de toutes les choses créées... Aussi veut-il lui seul, la guider vers lui-même. Il l'attire, il l'absorbe en soi. 


Cet hymne à la solitude fait l'éloge du tête à tête avec Dieu, dans l'oubli de tout ce qui n'est pas lui, concrètement des occupations et divertissements que propose la société. "L'amour est au monde pour l'oubli du monde" disait Éluard. 


Mais le spirituel n'est pas un isolé et il trouve en Dieu "le bocage et sa grâce", c'est-à-dire la forêt superbe des créatures ressourcée dans leur créateur, comme il sera dit dans la strophe 39. C'est donc un nouveau regard sur le monde qu'induit la solitude de l'âme, un regard dans laquelle elle peut en voir et en goûter toute la beauté.


STROPHE 36


REMARQUE 

L'amour est une amitié à deux seulement, d'où il suit que les amants ont besoin de traiter seul à seul. 


Ainsi l'âme arrivée au sommet de la perfection et à la parfaite liberté de l'esprit en Dieu, affranchie de toutes les répugnances et de toutes les contradictions de la sensualité, n'a plus d'autre occupation ou exercice que de se livrer aux jouissances du plus intime amour avec son Époux. 


Dans la strophe que nous allons donner, comme dans les suivantes, elle demande à son Bien-aimé de la rassasier de l'aliment béatifique, dans la claire vision de Dieu.


Ami, soyons en joie,
allons tous deux nous voir en ta beauté,
au mont, à la colline
où l'eau pure jaillit.
Pénétrons plus profond dans les fourrés.


EXPLICATION 

Dans cette strophe elle s'adresse donc à l'Époux et lui demande trois choses, qui sont propres à l'amour. 


La première est la jouissance, les délices de l'amour : "Ami, soyons en joie". 


La seconde est la ressemblance avec le Bien-aimé : "Allons tous deux nous voir en ta beauté". 


La troisième est la connaissance des secrets du même Bien-aimé : "Pénétrons plus profond dans les fourrés". 


Ami, soyons en joie, 


L'amour a ceci de propre, une fois qu'il s'est fixé sur un objet, de vouloir savourer constamment la joie et les délices qu'il procure, en d'autres termes, de vouloir sans cesse exercer l'amour intérieurement et extérieurement, tout cela afin de se rendre plus semblable au Bien-aimé. 


allons tous deux nous voir en ta beauté, 


En d'autres termes, que je sois tellement transformée en ta beauté, que je te devienne semblable, en sorte que, nous contemplant l'un l'autre, chacun de nous voie dans l'autre sa propre beauté, qui ne sera que ta seule beauté, mon Bien-aimé. Ainsi je te verrai dans ta beauté, et tu me verras dans ta beauté. Ainsi, dans ta beauté je paraîtrai toi-même et tu paraîtras moi-même. Ma beauté sera ta beauté, et ta beauté sera ma beauté. Je serai toi-même dans ta beauté, et tu seras moi-même dans ta beauté, parce que ta beauté sera ma beauté. 


au mont, à la colline 


Le mont symbolise la connaissance matinale ou essentielle de Dieu, qui se puise dans le Verbe divin... La colline représente la connaissance vespérale de Dieu, autrement dit la sagesse de Dieu dans les créatures, dans ses oeuvres et leurs admirables harmonies. 


Jean de la Croix donne ici la source de sa métaphore : "J'irai à la montagne de la myrrhe et à la colline de l'encens." (Ct 4,6) 


où l'eau pure jaillit. 


Elle dit l'eau pure, parce qu'elle est limpide, qu'elle dépouille l'intelligence des accidents et des fantasmes, qu'elle la dégage des nuages de l'ignorance. 


Pénétrons plus profond dans les fourrés. 


Elle veut dire dans les fourrés denses de tes oeuvres merveilleuses et de tes profonds jugements. 


Ces fourrés compacts de la sagesse et de la science de Dieu sont si profonds et d'une telle immensité, que l'âme a beau en connaître quelque chose, il lui reste toujours à pénétrer plus avant. 


Par ces fourrés dans lesquels l'âme souhaite entrer, on peut aussi entendre la masse et la multitude des peines et des tribulations qu'elle aspire à endurer... Car la souffrance est une condition pour entrer plus avant dans les profondeurs de la délicieuse sagesse de Dieu. Plus la souffrance est pure, plus pure et plus intime est la connaissance qui la suit, et, par conséquent plus pure et plus élevée est la jouissance qui naît de cette intime connaissance. 


Oh, si l'on comprenait bien qu'on ne pénètre dans la masse compacte de la sagesse et des richesses de Dieu, variées à l'infini, qu'en pénétrant dans la masse compacte de la souffrance sous toutes ses formes ! 


Pour entrer dans les trésors de la sagesse, il faut passer par la porte : cette porte est la croix, et elle est étroite. 


A partir de cette strophe, Jean de la Croix déplace la visée de son poème, qui ne concerne plus la vie présente, comme dans le Cantique A, mais la future, dans la vision béatifique. 


On pourra s'étonner qu'après avoir chanté la fin de toutes les épreuves et les délices de l'union, il revienne avec insistance sur la nécessité de souffrir pour y accéder. Il est probable que  les difficultés qu'il connut après la félicité du mariage spirituel, sont pour quelque chose dans cette mise au point. 


On en retiendra cependant le côté éminemment positif. La souffrance, qui n'a pas à être recherchée, fournit l'occasion (incontournable) au spirituel de progresser dans la maturité, sa sagesse et la compassion. On se souviendra de ces paroles de Nietzsche, qui pourtant n'a pas la réputation d'un esprit chagrin : "Cette tension de l'âme dans le malheur, qui l'aguerrit, son frisson au moment du grand naufrage, son ingéniosité et sa vaillance à supporter le malheur, à l'endurer, à l'interpréter, à l'exploiter jusqu'au bout, tout ce qui lui a jamais été donné de profondeur, de secret, d'esprit, de ruse, de grandeur, n'a-t-il pas été acquis par la souffrance, à travers la culture de la grande souffrance?"


STROPHE 37


REMARQUE 

Cette strophe exprime le désir de voir le Christ face à face et de connaître en profondeur les éternels mystères de son Incarnation.


Nous monterons ensuite
vers les hautes cavernes de la pierre
qui sont si bien cachées
et là nous entrerons
et le jus des grenades goûterons.


EXPLICATION 

L'épouse dit que lorsqu'elle sera entrée plus avant dans la Sagesse divine... c'est-à-dire sera entrée dans la gloire pour y voir Dieu face à face, alors, parfaitement unie à cette divine Sagesse, elle connaîtra les sublimes mystères de Dieu-homme... ainsi que les attributs de Dieu que ces mystères révèlent : justice, miséricorde, puissance, amour... 


Nous monterons ensuite
vers les hautes cavernes de la pierre 


La pierre dont il s'agit, c'est le Christ lui-même, selon ce que dit saint Paul (1 Co 10, 4). Les hautes cavernes de cette pierre ne sont autres que les sublimes et profond mystères de la sagesse de Dieu, cachés dans le Christ. 


qui sont si bien cachées 


Quel abîme à creuser que le Christ ! C'est une mine abondante, contenant des filons sans nombre de trésors. Pour y parvenir, il faut de toute nécessité, que l'âme passe tout d'abord par la voie étroite de la souffrance intérieure et extérieure. C'est le chemin qui conduit à la sagesse. 


L'âme désire donc entrer véritablement dans les cavernes du Christ, afin de s'y plonger, de s'y transformer, de s'enivrer de l'amour qu'elles contiennent. Mais si elle aspire à se cacher dans le sein de son Bien-aimé, c'est que lui-même l'y invite. 


et là nous entrerons 


Là, c'est-à-dire dans ces connaissances des mystères divins... Nous y entrerons, c'est-à-dire le Bien-aimé et moi. Par là elle donne à entendre que cette oeuvre n'est pas proprement sienne, mais qu'elle lui est commune avec l'Époux... Nous entrerons, c'est-à-dire nous nous y transformerons, ou plutôt je m'y transformerai en toi. 


et le jus des grenades goûterons. 


Les grenades représentent ici les mystères du Christ et les jugements de la sagesse de Dieu ; elles figurent aussi les perfections et les attributs que la connaissance de ces mystères et de ces jugement révèlent. 


Le suc des grenades... représente la jouissance et les délices de l'amour de Dieu, qui découlent pour l'âme de la révélation et de la connaissance de ces mystères. 


L'image est reprise à Ct 8, 2 : "Je te donnerai un vin parfumé, mêlé au suc de mes grenades." 


Au coeur de cette strophe et de la précédente, se trouve le mystère de la passion-résurrection du Christ par lequel doit passer le spirituel pour accéder à la joie de la gloire éternelle.


STROPHE 38


REMARQUE 

Dans les deux strophes précédentes, l'épouse a chanté les biens dont l'Époux la fera jouir dans l'éternelle félicité. Il la transformera effectivement dans la beauté de la sagesse créée et de la sagesse incréée... Dans la strophe qui suit, elle expose la manière dont il lui sera donné de goûter au divin suc des grenades.


Là tu me montrerais
ce que mon âme désirait si fort,
puis tu me donnerais,
là, toi qui es ma vie
cela que l'autre jour tu m'as donné.


EXPLICATION 

Dans cette strophe, l'âme dit à l'Époux qu'il lui enseignera là ce à quoi elle a constamment visé dans tous ses actes et exercices, à savoir, l'aimer avec la perfection dont il s'aime.


Là tu me montrerais 

ce que mon âme désirait si fort, 


Ce qui fait l'objet des désirs naturels et surnaturels de l'âme, c'est l'égalité d'amour avec Dieu, parce que l'amant ne peut être satisfait à moins de sentir qu'il aime autant qu'il est aimé... Bien qu'elle ait atteint en cette vie la transformation d'amour et que son amour soit immense, il lui est impossible cependant d'aimer Dieu avec la perfection d'amour dont elle est aimée de lui. Elle aspire donc  à la transformation de la gloire où cette égalité d'amour lui deviendra possible... Dans la gloire, en effet, outre que Dieu donne son amour à l'âme et, par ce même amour, lui enseigne à aimer purement, librement, sans intérêt, comme il nous aime lui-même, il lui donne d'aimer avec la puissance dont il l'aime lui-même, et cela en la transformant en son amour. 


puis tu me donnerais,

là, toi qui es ma vie

cela que l'autre jour tu m'as donné. 


Ce que l'Époux donnera sans retard à cette âme, c'est la gloire essentielle, qui consiste dans la vision de l'être de Dieu. 


Une question cependant : Pourquoi l'âme demande l'amour et non la vision en quoi consiste la gloire essentielle ? Réponse : D'abord l'amour est la fin de toutes choses et consiste essentiellement à donner, alors que voir consiste à recevoir. Ensuite, la première demande renferme nécessairement la seconde parce qu'on ne peut atteindre le parfait amour de Dieu sans la parfaite vision de Dieu. 


Par "l'autre jour" est entendu le jour de l'éternité de Dieu, bien différent du jour du temps. C'est en ce jour de l'éternité que Dieu prédestina l'âme à la gloire, et la lui donna librement avant toutes choses, avant même de la créer. Depuis, cette gloire est tellement la propriété de l'âme qu'aucun événement, aucun obstacle ne pourra jamais la lui ravir. 


Mais ce que Dieu lui a donné alors, qu'est-ce donc ? C'est comme dit l'apôtre, ce que l'oeil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, ce que le coeur de l'homme n'a jamais conçu." (1 Co 2, 9). En fait, il s'agit de voir Dieu. Mais qu'est-ce que voir Dieu, pour une âme ? II n'y a point de termes pour le dire. Cependant, afin de ne point passer le sujet entièrement sous silence, rappelons ce que le Christ, dans l'Apocalypse, en a dit à saint Jean sous diverses figures, images et comparaisons. 


Suit une série de sept citations que Jean de la Croix commente brièvement, précisant à la fin que ces paroles cependant n'expliquent rien. Aucun terme ne correspond parfaitement à ce dont l'âme nous parle ici et qui n'est autre que la félicité à laquelle Dieu l'a prédestinée. 


Pour terminer, Jean de la Croix commente son dernier vers : Cela que l'autre jour tu m'as donné, c'est ce poids de gloire auquel tu me prédestinas, mon Époux, au jour de ton éternité, quand tu daignas te déterminer à me créer. Tu me le donneras sans aucun retard au jour de mon alliance avec toi, en ce jour de mes noces et de la joie de mon coeur, lorsque, me détachant des liens de la chair, tu m'introduiras dans les sublimes cavernes de ta chambre nuptiale et me transformeras glorieusement en toi, afin que nous buvions ensemble le suc de tes grenades pleines de suavité. 


Le commentaire de cette strophe mixe deux points de vue sur la destinée de l'âme : celui d'une vision éternaliste (le point de vue de Dieu, du jour de son éternité) bien différent du jour du temps , et celui d'une vision temporelle que Jean de la Croix exprime dans les catégories théologiques de son époque, à savoir en termes de prédestination : dans un premier temps Dieu prédestine l'âme, puis la crée, puis lui donne accès à sa béatitude. Mais pour Dieu, bien sûr, il n'y a ni avant ni après : c'est d'un amour éternel qu'il aime l'âme. 


STROPHE 39


REMARQUE 

L'âme élevée à l'état du mariage spirituel pressent ce dont elle jouira dans la vision béatifique et le donne à entendre dans la strophe qui suit : 


L'aspiration de l'air
la chanson de la douce philomèle,
le bocage et sa grâce,
parmi la nuit sereine,
la flamme qui consume et plus ne peine.


EXPLICATION 

Dans cette strophe, l'âme expose et explique ce que l'Époux lui donnera dans la transformation béatifique : 


- La spiration de l'Esprit saint, allant de Dieu à l'âme et de l'âme à Dieu. 


- La jubilation vers Dieu dans la jouissance de Dieu. 


- La connaissance des créatures. 


- La contemplation claire de l'essence divine. 


- La transformation totale en l'immense amour de Dieu. 


- L'aspiration de l'air 


Ce souffle est une force... qui élève l'âme à une hauteur sublime, l'informe et la rend capable de produire en Dieu la même respiration d'amour que le Père produit dans le Fils, et le Fils dans le Père, respiration qui n'est autre que l'Esprit saint. 


En cette vie, La respiration qui passe de Dieu à l'âme et de l'âme à Dieu, s'échange très fréquemment et avec d'exquises délices d'amour, bien que ce ne soit pas avec la clarté et l'évidence réservées à l'autre vie. C'est ce que saint Paul avait en vue lorsqu'il disait : "Parce que vous êtes enfants de Dieu, il a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils qui crie vers le Père." (Ga 4, 6).


Dans cette opération, l'âme opère son oeuvre d'intelligence, de connaissance et d'amour... conjointement avec la Trinité... En cela elle est semblable à Dieu, et c'est pour l'amener là qu'il l'a créée à son image et à sa ressemblance. (Gn 1,26) 


De quelle manière cela se fait-il ? C'est ce qu'il est impossible de comprendre et de dire. Tout ce que nous en savons, c'est que le Fils de Dieu nous a acquis, mérité ce sublime honneur de pouvoir être enfants de Dieu, ainsi que saint Jean nous le déclare (Jn 1, 12). 


D'où il suit que les âmes possèdent par participation les mêmes biens que le Fils possède par nature, ce qui fait d'elles véritablement des dieux par participation, les égales et les associées de Dieu. 


O âmes créées pour ces merveilles, âmes appelées à les voir se réaliser en vous ! que faites-vous ? à quoi vous amusez-vous ? Vos ambitions ne sont que bassesses et vos possessions que misères. O déplorable cécité de vos yeux spirituels ! Vous êtes aveugles en présence d'une si vive lumière et sourdes à des appels si puissants. Ne voyez-vous pas qu'en poursuivant la grandeur et la gloire terrestres, vous restez plongées dans l'indigence, demeurez vides de si grands biens, ignorants, et indignes d'eux ? 


la chanson de la douce philomèle, 


Ce qui naît dans l'âme de ce souffle de l'air est la douce voix de son Bien-aimé à laquelle elle répond par une délicieuse jubilation. 


La chanson de la philomène est le chant du rossignol qui fait entendre ses accents au printemps, alors que les frimas, les pluies, les perturbations de l'hiver ont pris fin ; il charment l'oreille et délassent l'esprit. De même, dans cette actuelle communication, cette transformation d'amour accordée à l'âme en cette vie, lorsqu'elle se trouve affranchie de toutes les vicissitudes temporelles, qu'elle est délivrée, purifiée des imperfections, des peines, des obscurités tant sensibles que spirituelles, elle jouit comme d'un nouveau printemps où tout est liberté, dilatation, joie de l'esprit, où elle perçoit la douce voix de l'Époux. Et cette voix opère dans le plus intime de sa substance un effet de rénovation et de rafraîchissement. 


Conjointement, l'âme entame avec son Dieu qui l'y invite, un chant nouveau tout de jubilation... plein de suavité pour Dieu et pour elle. 


Tel est le chant de l'âme dans la transformation opérée ici-bas. Il a une suavité qui surpasse tout ce qu'on peut en dire. Cependant, comme il n'est pas aussi parfait que le cantique nouveau de la vie glorieuse, l'âme, qui savoure dans la sublimité de ce chant un avant-goût de celui de la gloire... élève ses pensées jusqu'à la vie glorieuse. 


le bocage et sa grâce, 


Par le bocage qui renferme une si grande variété de plantes et d'animaux, elle entend ici le Dieu qui donne l'existence à tous les êtres, leur faisant trouver en lui leur principe et leur vie.  


La grâce du bocage que l'âme demande également ici à l'Époux pour la vie future, c'est la connaissance des charmes, de la sagesse, de la beauté que chacune des créatures, soit terrestres, soit célestes, tient de Dieu, la connaissance de l'harmonie naissant de l'ordre si parfait et si sage, des relations si gracieuses et si amicales, qui unissent les créatures inférieures entre elles, et les supérieures avec les inférieures : merveilles qui sont pour l'âme la source d'un émerveillement et d'un bonheur très vifs. 


parmi la nuit sereine, 


Cette nuit est la contemplation dans laquelle l'âme aspire à voir les merveilles qu'elle vient d'évoquer. Elle l'appelle une nuit, parce que la contemplation est obscure. Pour ce motif, on la nomme aussi théologie mystique, c'est-à-dire connaissance de Dieu secrète et cachée, par laquelle, sans bruit de paroles, sans le secours des sens corporels ou spirituels, en repos et quiétude, en dehors de tout ce qui tient à la nature et aux sens, Dieu enseigne l'âme d'une manière mystérieuse, par un mode qui reste inconnu à l'âme elle-même. 


Cependant, si élevées que soient les connaissances reçues dans cette contemplation, ce n'est qu'une nuit obscure comparée à la contemplation béatifique qui est désormais sollicitée... Ainsi, par la nuit sereine, l'âme entend la vision de Dieu à découvert et sans voiles. 


la flamme qui consume et plus ne peine. 


Par la flamme elle entend l'amour dont l'Esprit-saint est le principe. Consumer signifie ici donner la dernière perfection. Ainsi, en disant que le Bien-aimé lui fera tous les dons énumérés... elle entend qu'ils seront absorbés dans l'amour parfait qui ne cause plus de souffrance, et qu'elle-même sera absorbée dans cet amour. Car pour être parfait, l'amour doit avoir deux propriétés : il faut qu'il consomme l'âme et la transforme en Dieu, il faut aussi que l'embrasement et la transformation qu'il opère soient sans souffrance, ce qui ne peut être que dans l'état béatifique. 


Ici, bas, dans la transformation d'amour, l'âme, si conforme qu'elle soit au feu divin, souffre et endure un certain détriment.. Au contraire, il n'y aura plus dans la vision béatifique ni détriment ni peine... Dieu rendra l'âme capable de cette connaissance et forte pour porter cet amour.


STROPHE 40


Or nul ne regardait
Aminadab non plus n'apparaissait,
le siège s'apaisait
et la cavalerie
à la vue des eaux descendait la rive.


EXPLICATION ET REMARQUE 

L'épouse, dégagée de tout et reliée à son Dieu par un amour très étroit, transformée en lui, dans une abondance de richesses et de dons spirituels, a tout ce qu'il faut pour monter jusqu'à sa gloire. Dans le désir qu'il termine cette affaire, elle lui représente tout ce qui peut le motiver à le faire : elle est maintenant détachée de tout le créé, le démon est sorti du paysage, ses passions sont arraisonnées, ses appétits calmés, sa sensibilité est purifiée, ajustée à son esprit. Elle dit donc : 


Or nul ne regardait 


C'est comme si elle disait, je me trouve dans un tel état de détachement, de solitude, je me sens retirée au-dedans avec toi dans un recueillement intérieur si profond...  qu'aucune créature n'en a la vue. 


Aminadab non plus n'apparaissait, 


Aminadab, dans l'Écriture, signifie le démon, cet adversaire qui assaillait l'âme et la troublait sans cesse... n'ose plus maintenant l'approcher. 


le siège s'apaisait 


Par le siège l'âme entend l'ensemble de ses passions et de ses appétits... elle veut dire que ses passions sont arraisonnées et ses appétits amortis. 


et la cavalerie
à la vue des eaux descendait la rive. 


Par ces eaux, l'âme désigne les richesses et les délices spirituelles dont elle jouit dans son intérieur avec Dieu. Par les cavaliers, elle entend les sens corporels... liés aux fantasmes et figures des objets qu'ils perçoivent. Elle nous dit que ces cavaliers descendent à la vue des eaux parce que, dans l'état du mariage spirituel, la partie sensible de l'âme est purifiée, spiritualisée, de telle sorte qu'elle participe aux merveilles que Dieu communique intérieurement à l'âme... Les facultés sensibles, corporelles se sentent attirés au recueillement intérieur, dans lequel l'âme s'abreuve aux eaux des biens spirituels.... elles abandonnent leurs opérations naturelles pour s'enfoncer dans le recueillement de l'esprit. 


L'épouse présente toutes ces dispositions à son Bien-aimé dans le désir de se voir transportée par lui du mariage spirituel jusqu'aux noces célestes. 


Le Cantique de Jean de la Croix s'achève comme il a commencé : dans le recueillement intérieur qui est, pour lui, le premier et le dernier pas de la démarche spirituelle. Dans la connaissance obscure et amoureuse de la contemplation, au sein de la nuit sereine , dans la flamme qui consume et plus ne peine, l'âme trouve la source de son bonheur et l'accomplissement de sa vie.